« Voyage au centre de Grindr », Cœur d’aubergine propose une immersion dans le monde des applications de rencontres. Entre témoignages et poésie, la création radiophonique de Clément Braive nous transporte dans un tableau émouvant.
« Cœur d’artichaut : se dit d’une personne qui tombe facilement et souvent amoureuse. Le cœur désigne le centre du végétal, le fond d’artichaut duquel se détachent de nombreuses feuilles, une pour chaque personne présente, tout comme quelqu’un qui a un cœur d’artichaut donne un peu d’amour à chaque personne qui lui semble digne d’intérêt. »
Cœur d’aubergine s’ouvre sur l’énonciation d’une multitude de noms, et donne le ton : derrière les applications de rencontre se trouve une « mosaïque de profils » dont tous sont rangés par catégories. Si l’un est plutôt décidé à rencontrer l’âme sœur, l’autre cherche un « mec simple » avec qui passer du bon temps « sans prise de tête ». Chacun y va de se préférence comme l’on fait son marché. Cette mécanique, Clément nous l’expose en usant de sa propre expérience et à travers de multiples formes de narration qui chacune apporte sa touche au récit.
Si l’on n’est pas familier des chroniques sonores, on peut être surpris. La lecture semble imposée et on imagine qu’un texte écrit n’aurait pas eu le même effet. Toutefois, il est enrichissant d’entendre la multitude de variations proposées par l’audio. L’assemblage des formes offre une grande richesse au texte : des extraits d’entretiens, de conversations, de mélodie, de poésie, de témoignages… Le choix du support sonore permet d’installer une atmosphère particulière. Parfois, les voix sont accompagnées de musique, on est dans un moment plus doux… Puis, les voix des interlocuteurs se chevauchent et le ton escalade, entraînant une tension importante. Plus tard, on entend chuchoter, comme une confidence. Chaque élément se met au service d’un tout harmonieux, à l’image de toutes ces possibilités qu’offrent les applications de rencontre comme Grindr. Parfois, on éprouve le sentiment d’être voyeur et de surprendre une discussion à laquelle on ne devrait pas assister : une visite chez le docteur, une conversation entre deux anciens amants… Comme bercés dans l’expérience de quelqu’un d’autre, on s’ouvre à une nouvelle sensibilité.
Derrière un langage parfois cru et limite vulgaire, ce qui peut freiner l’écoute et gêner l’auditeur, Clément traduit la réalité de ces applications et aborde des thèmes graves. Par cette mise en voix, on approche les sujets de la séropositivité, des violences sexuelles, des dérives de l’image, de la dépendance que peut entraîner ce style de vie rapide où l’on s’attache parfois sans perspective de lendemain mais juste parce que ce « shoot de plaisir » est dominant et addictif. Ces relations sont présentées comme des « concentrés de vraie vie » où tout est accéléré : rencontre, intimité, rejet… au risque, Clément confie, de subir une anesthésie. Parce que dans l’ombre de toute utopie, il y a des dérives : elles sont violentes, racistes, irrespectueuses… Mais il y a aussi des rencontres authentiques et touchantes que Clément décrit avec beaucoup d’émotions.
Finalement, Cœur d’aubergine peut décevoir ceux qui s’attendent à entendre des histoires d’amour tendres. La chronique laisse dans son sillage un sentiment plutôt négatif à l’égard de ce genre de rencontres. Bien que de belles expériences soient énoncées, la tendance reste à dépeindre une image hypersexualisée de la communauté homosexuelle. Malgré la réalité de cette image, on pourrait toutefois souhaiter un tableau plus réjouissant.
« Si Emma Bovary avait été un homme au vingt-et-unième siècle, elle aurait passé sa vie sur Grindr. »