Dans Confiance, ode à la Terre , la Compagnie Mazette livre un spectacle tout public sous la forme d’une métaphore poétique sur la place de l’humain dans l’univers, la nature et la société. Une pièce onirique qui réconcilie corps, esprit et technologie en puisant dans les arts du cirque, du chant et du théâtre.
En art, la distinction entre forme et contenu n’a souvent pas lieu d’être. Confiance nous rappelle cette règle avec force en privilégiant la quête du Beau et l’expérience poétique d’un univers singulier. Même si la pièce recèle potentiellement une pléthore de significations, d’enseignements et de messages, l’essentiel se trouve ailleurs : faire éprouver au public (enfants comme adultes) un autre rapport au monde et à la vie. À l’opposé de la plupart des pièces de théâtre jeune public, animées d’une vocation pédagogique et instructive (souvent liée à l’écologie), ce spectacle fait le pari de s’adresser exclusivement au cœur et à l’âme. Ce bouleversement en profondeur du spectateur s’accomplit néanmoins en empruntant les voies de la légèreté, de la grâce, de la douceur et du burlesque. Et, surtout, de l’imaginaire.
Elle, c’est Greulinette (Fanny Jeannin), une femme de la terre. L’air sauvage, acrobatique, enjoué et débordant d’énergie, elle cultive le sol en plantant des graines. Née dans une brouette sous un amas de terre chaude, elle passe son temps à donner à la nature et à recevoir d’elle. Elle représente l’harmonie entre l’humain et la nature, la terre, la spontanéité, la ruralité, le corps, la simplicité, l’innocence, la vie et la fécondité.
Lui, c’est Guy Goodman (Emile Goïc), muni d’un chariot-régie automobile et sans fil. Un brin futuriste, il se déplace à bord de son véhicule diffuseur de sons et de lumière, plus intéressé par la réalité virtuelle de son écran que par le monde extérieur. En apparence autosuffisant et dénué d’émotions, il représente l’homme-machine, « maître et possesseur » du monde, la science, la technique et la technologie.
Le troisième, c’est Céleste (Philippe Payraud). Homme d’allure fantaisiste et éthérée, le regard tourné vers le ciel et l’ au-delà , des ballons gonflés d’hélium attachés à sa chevelure abondante. Il représente le ciel des idées, la sagesse, la spiritualité et le savoir.
Trois personnages décalés, loufoques et seuls. Représentants d’eux-mêmes et d’Idées qui les dépassent. Un jour advient leur rencontre. Ils ignoraient être en quête de quelque chose et pensaient ne manquer de rien. Toutefois, chacun d’eux possède une part de magie, de pouvoir (la connaissance de la terre/du corps, du ciel/des idées ou de la technologie) capable d’embellir la vie des autres. Leur union se teint d’emblée des couleurs de la joie et de la curiosité, avant de virer au chaos harmonieux, à une valse poétique de sons, de gestes et de mouvements synonyme de renaissance. Un moment de rupture déchire soudain le voile éclatant de leur symbiose. Le mouvement et le changement qu’ils ont initiés dans leur existence leur échappent. La machine automobile se retourne contre eux, comme ivre d’une liberté et d’un pouvoir ressentis pour la première fois. Les tensions retombent et leurs yeux se dirigent tous dans la même direction : l’Espace et l’Univers.
Superbe mise en scène où chaque élément, naturel ou artificiel, contribue à la poésie du Tout. La simplicité apparente du dispositif matériel cache la complexité des procédés sous-jacents. En outre, le décor ne se réduit pas à une dimension décorative : il semble doué de vie, animé, évoluant et interagissant directement avec les comédiens-performeurs. La terre, véritable terreau disséminé sur tout l’espace scénique ; les ballons qui, par un tour de magie technologique , jaillissent du sol et des graines ; et le chariot-régie, autant intriguant visuellement qu’efficace dans les effets de lumière qu’il projette, sur la scène ou sur des objets spécifiques (ex : toiles blanches volantes). Preuve ultime de la qualité de la mise en scène, elle ne s’accompagne d’aucune parole au sens strict, usant par moments du gromolo, un langage sonore où les signifiants ne renvoient à aucune réalité connue et intelligible (ex : « bli bla blo »).
À défaut de chercher à transmettre un seul et unique message explicite, Confiance donne au spectateur les moyens d’imaginer lui-même une multitude de récits et tableaux .
En voici quatre interprétations. Tout d’abord, il s’agit d’une mise en abyme des trois idées et éléments fondateurs de l’humain : le corps, la technique et l’esprit. La pièce ne met cependant pas en scène l’histoire du développement de l’Humanité car une telle démarche supposerait une trajectoire linéaire, une potentielle hiérarchie de valeur entre les personnages, dictée par la logique du remplacement et de la progression. Au contraire, l’essentiel réside dans les interactions entre les trois individus ou, plus exactement, dans l’évolution de leurs relations. La véritable histoire ne traduit pas celle de l’Humanité en général mais de trois humains en quête de leur propre humanité. Un quatrième élément, invisible, inodore et inaudible émerge d’ailleurs de la collision harmonieuse des trois autres : l’amour.
Deuxièmement, une fresque sociale montrant comment trois personnages isolés, différents voire opposés, vont faire société en s’enrichissant mutuellement de leur rapport au monde authentique. Greulinette découvre le pouvoir émancipateur du ciel et de la spiritualité, Céleste, l’ancrage et la fécondité de la terre, et Guy Goodman apprend à se déconnecter de sa machine pour se connecter à son corps et faire confiance à l’autre, à la nature et aux choses simples de l’existence. Une troisième lecture épinglerait la réconciliation de l’homme avec la nature et avec lui-même, où, à la volonté de contrôle du monde, se substitue l’amour, le respect et la bienveillance. Quatrièmement, la pièce offre aussi une métaphore de la place de l’humain dans l’univers en le présentant comme un être entre terre et ciel, animalité et divinité, matériel et immatériel. Illustrée par la scène où les trois personnages, rivés au sol, admirent une toile blanche où se reflète l’image de la Lune, que Céleste tient dans sa main avant de la laisser s’envoler et voltiger.
À moins que le spectacle ne vise avant tout à mettre en valeur un mode de relation avec l’autre davantage basé sur le silence, le langage non-verbal, le jeu, l’écoute, le regard, la communication tactile et la conscience corporelle.
Le temps d’un voyage poétique en apesanteur, on quitte la réalité pour mieux la retrouver ensuite.