Cycle Truffaut (1)
Coup d’envoi de notre cycle François Truffaut. Dans ce premier épisode, Camille Burtin nous parle de trois des cinq films dont le personnage principal est Antoine Doinel. Celui-ci, incarné par Jean-Pierre Léaud, est enfant dans les 400 Coups , tombe amoureux de Colette ( Antoine et Colette , 1962) puis de Christine ( Baisers volés , 1968), avec laquelle il se marie ( Domicile conjugal , 1970) avant de s’en séparer ( l’Amour en fuite , 1979). Dans un style allusif, Camille tente de mettre des mots sur ces films qui ont compté pour lui.
Pendant huit semaines, des étudiants de la filière Elicit de l’ULB mettent à l’honneur l’œuvre de François Truffaut , un réalisateur qui a bouleversé les codes du cinéma. Des coups de cœur, des scènes cultes, des analyses… tout pour partager avec vous l’art d’un des chefs de file de la Nouvelle Vague. Un nouveau feuilleton signé Karoo !
Baisers volés
J’avais seize ans, et beaucoup s’accorderont pour dire que ce n’est pas le plus bel âge de la vie. Je ne savais rien du cinéma. Et celui-ci allait devenir mon refuge.
Truffaut, j’en avais vaguement entendu parler. De même que de la Nouvelle Vague. Enfant, je me souvenais d’avoir vu les 400 Coups un soir à la télévision. J’avais rêvé de la vie vagabonde et délictueuse d’Antoine Doinel. Mais comme on rêve d’être agent secret ou cosmonaute : parce que c’est impossible.
Cet attachant gredin grandissait dans trois autres films et je l’ignorais. Soucieux de respecter la chronologie du personnage, j’ai commencé par Baisers volés . Quelque chose s’est ouvert devant moi. Charles Trenet n’était plus celui qui swinguait dans le poste de la voiture quand mon père conduisait mais ouvrait délicatement le générique d’un film. Les femmes s’appelaient des apparitions. Un marchand de chaussures lugubre pouvait être le mari de Delphine Seyrig. On pouvait être un garçon théâtral et séduire de jolies filles. D’ailleurs, on pouvait séduire de manière courtoise et romanesque. Et de jolies filles l’appréciaient.
Devant son miroir, on pouvait répéter le prénom de celle qu’on aime et de celle qu’on est inquiet d’aimer.
On pouvait répéter Christine Darbon et Fabienne Tabard à l’infini.
On pouvait aussi répéter son nom jusqu’à l’écœurement, jusqu’au dégoût, jusqu’à ce que chaque syllabe nous transperce comme un fleuret. Dans
Baisers volés
, on pouvait être heureux et triste à la fois. En somme, dans
Baisers volés
, il y avait la vie.
Domicile conjugal
Antoine Doinel s’est marié. Christine ne s’appelle plus Darbon mais Doinel. Elle attend un enfant. Alors, Antoine va devenir père. Elle veut le prénommer Ghislain mais Antoine préfère Alphonse. Ils ne s’entendront pas sur le prénom du garçon. D’ailleurs, ils ne s’entendent plus vraiment.
Antoine vend des fleurs qu’il colore lui-même dans la cour de leur immeuble. La poésie se pose sur la pellicule. Mais ce n’est pas un métier. Car Antoine va devenir père. Il trouve un travail dans une grande entreprise américaine, l’occasion pour lui de prouver sa maîtrise de l’anglais et d’offrir une scène mémorable au spectateur . Antoine télécommande des modèles réduits de bateaux. Il tombe amoureux d’une femme japonaise. Il lit un livre sur les femmes japonaises. Antoine Doinel pense toujours qu’on peut séduire avec des livres. Il aime toujours les livres. Il trouve d’ailleurs une échelle pour sa bibliothèque.
Christine s’occupe de l’enfant pendant qu’Antoine classe ses livres. En fait, Antoine n’a pas vraiment le temps d’être père. Il court après les vies auxquelles il songe. Il lit. Il trompe sa femme avec Kyoko. Mais il s’ennuie avec elle. Alors il revient vers Christine.
Et il est toujours père.
L’Amour en fuite
De tout le cycle Doinel, l’Amour en fuite est le plus mal aimé. Vingt ans après les 400 Coups , François Truffaut met un point final aux aventures de son héros fétiche . On n’aime pas quitter un héros comme Antoine Doinel. Et le film ne nous aide pas à le faire.
Antoine et Christine ont divorcé. Ils repensent aux années qu’ils ont passées ensemble, et Truffaut redonne à voir des scènes de Baisers volés . Le premier divorce par consentement mutuel de France, c’est donc Truffaut qui l’a filmé. L’époque a changé mais Antoine Doinel moins. Il court toujours et se rappelle son passé. Il repense aux femmes qu’il a aimées.
Dans son roman les Salades de l’amour , Antoine récrit sa vie. La parution de ce livre est l’occasion pour lui de recroiser Colette, une jeune fille qu’il avait connue à ses seize ans. Ils avaient flirté un peu, été au cinéma beaucoup. Puis il y a eu Christine. Il avait recroisé Colette au bras d’un homme dans Baisers volés . Colette est devenue avocate. Elle croise Antoine dans un train. Pendant le voyage, ils se rappellent des moments qu’ils ont passés ensemble et Truffaut redonne à voir des scènes d’ Antoine et Colette et de Baisers volés .
Le dernier amour de Doinel s’appelle Sabine. Elle est vendeuse dans un magasin de disques. Ça ne nous intéresse pas beaucoup, surtout qu’elle est interprétée par Dorothée. Antoine l’aime quand même. Alors que rien ne les destinait à s’aimer encore, Antoine l’embrasse à la fin du film. Dans une cabine, un couple écoute Alain Souchon chanter l’amour en fuite. Les amoureux s’embrassent et l’on revoit Antoine à quinze ans. Emporté par un manège qui tourne, il est plaqué contre les parois, comme suspendu, grisé, invincible. Antoine et Sabine s’embrassent encore. Doinel tourne toujours dans son manège. Et c’est sans doute cela l’amour.
Quand il ne fuit pas…