David Giannoni
Du 11 au 14 mai 1 , la onzième édition du fiEstival, organisé par maelstrÖm reEvolution, investira l’Espace Senghor pour y déployer son festival annuel d’arts poétiques, musicaux et littéraires. Au menu : une foule d’activités et de performances INdoor et OUTdoor pour réenchanter le quotidien en y insufflant la poésie !
Fondé en 2007 par Antonio Bertoli et David Giannoni, le fiEstival se veut au plus proche de la vie. De là une volonté de rendre cet événement le plus vivant possible en favorisant le mouvement, l’action et l’interaction : au niveau culturel ( œcuménisme artistique mêlant danse, théâtre, musique, chants, arts de l’image, poésie et cultures étrangères), au niveau spatial (les festivités se déroulent aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, sur le piétonnier, en ville et en Belgique via des activités détachées ), au niveau humain (activités favorisant la rencontre et le partage entre public et artistes). Le fiEstival, c’est un véritable univers, à la fois animé d’une identité forte et d’un caractère universel, incluant autant enfants (fiEstenfants) et adultes, férus d’art et simples amateurs. Au programme de l’édition à venir : apéros poésie, Lucha Libro (forme de catch littéraire opposant des auteurs/poètes censés improviser l’écriture d’un texte à partir d’un thème imposé), jeux panpoétiques (animations et jeux participatifs en extérieur), personnes-livres, poèmes combinatoires instantanés, Rimbaud mobile (voiture sillonnant les rues de Bruxelles avec à son bord un musicien et des poètes déclamant de la poésie), roue des poètes, concerts, spectacles, performances, conférences, banquet poéthique et méga slam-jam. Dernière originalité en date : l’instauration d’un prix libre pour la onzième édition, une prise de risque financière qui incarne tout l’esprit du fiEstival : confiance, ouverture et liberté. Rencontre avec l’un des pères fondateurs du fiEstival, David Giannoni.
Cette édition sera par ailleurs dédiée à Benjamin Pottel, poète, musicien et proche collaborateur du fiEstival décédé l’an passé à l’âge de trente-sept ans.
Quelle est la spécificité du fiEstival par rapport à d’autres festivals ?
Tout d’abord, il s’agit du premier festival de poésie à Bruxelles. Ensuite, il s’agit plus que d’un festival, c’est une œuvre et un acte poétique permanent, une entité vivante qui se réinvente perpétuellement. L’idée derrière le fiEstival est de créer un double rassemblement : rassemblement d’un ensemble de poètes et d’artistes au niveau international, et rassemblement de ceux-ci avec un public. Deux termes résument bien l’âme de l’événement : le pow-wow amérindien (NDLR rassemblement festif en musique et en danse) et le raduno italien (le uno exprimant l’idée d’unité). Antonio Bertoli et moi ne souhaitions pas lancer un énième festival, comme si le festival était une finalité en soi, mais plutôt créer un événement dédié au partage et à la rencontre. Cette volonté de communion entre acteurs et spectateurs se manifeste par exemple dans le banquet collectif, les apar-thés entre artistes et public, la méga slam-jam finale et d’autres activités.
Qui dit rassemblement dit aussi décloisonnement car le but est justement de décloisonner les disciplines artistiques et de faire se rencontrer non seulement des individus mais aussi des cultures et des domaines différents. Comme moteur principal de cette dynamique, de ce mouvement, il y a la poésie et, plus particulièrement, l’acte poétique. C’est vraiment la poésie qui incarne l’unité au sein de cette diversité. Par acte poétique j’entends que la poésie est avant tout un acte de vie, un mouvement, un souffle. À ce titre, le fiEstival (tout comme le maelstrÖm, qui signifie tourbillon ) est à la fois une émanation de ce souffle et un moyen de l’explorer, de saisir le centre de gravité autour de quoi tout tourne.
Chaque année depuis sa création, le fiEstival est associé à un nouveau thème. Quel est le fil rouge entre ceux-ci ?
Le lien qui traverse ces différents thèmes dépasse le fiEstival lui-même. En réalité, il y a plusieurs groupes de fiEstivals et chacun est consacré à l’exploration d’une facette de ce qui agit comme le moteur de tout. Les cinq premiers fiEstivals tournaient ainsi autour d’une représentation anthropologique de l’être humain. Le premier, « Solo de amor », touchait au cœur et à la partie émotionnelle ; le deuxième, « In gold we trust ? », abordait la question de la matière et du corps ; le troisième, « 19 Karma Sûtras », explorait la sexualité, la créativité et l’instinctivité ; le quatrième, « Le Koân du vide », touchait au mental ; quant au cinquième, il représente ce qui met les quatre autres en mouvement, à savoir « La 5 e Essence ».
Ensuite vient la deuxième série de fiEstivals, les éditions 6/7/8, semblable à un travail de dialectique autour de la question du temps. Le sixième, « Troubler le futur », visait à explorer la tension dans la vie humaine entre liberté et déterminations, où déterminer sa liberté signifie rendre le futur indéterminé malgré les déterminations du passé (ADN, arbre psycho-généalogique, héritage culturel, thème astrologique pour ceux qui y croient, etc.). Le septième fiEstival s’intitulait « Healing Past » parce que la formule anglaise, plus riche et ambiguë, signifiait à la fois guérir le passé , guérir du passé et le passé qui guérit . Quant au huitième, il s’appelait « Presenz ».
Une fois le cycle des huit premiers fiEstivals conclu, il a fallu démarrer quelque chose de nouveau, d’où la neuvième édition, intitulée « neuF » et consacrée à la question insondable de la nouveauté : « Qu’est-ce que le neuf dans la création, par rapport à l’ancien, à l’héritage ? Crée-t-on vraiment ou ne fait-on que recréer ? » Le dixième fiEstival, « L’Arbre de vie », incarnait, au niveau numérique, la complétude et, au niveau symbolique, la fin d’un cycle. Enfin, la onzième édition, prévue en mai de cette année, s’intitule « L’Arcane de la Force », la Force étant le onzième arcane du tarot de Marseille, qui renvoie notamment au lâcher-prise. Le 11, c’est aussi 1 et 1, la première fois que l’unité se rencontre elle-même.
Comment le thème de la onzième édition, « L’Arcane de la Force », est-il concrètement mis en œuvre au sein de l’événement ?
Pour respecter l’idée de lâcher-prise ainsi que le nombre 11, j’ai décidé de ne pas décider de tout, choisi de ne pas choisir. Un jour, j’ai proposé au comité d’organisateurs (une dizaine de personnes) d’appliquer le thème et la règle du lâcher-prise à nous-mêmes. Cette règle correspond d’ailleurs à la dimension d’œuvre du fiEstival : une œuvre est comme un bébé, elle doit pouvoir avoir sa propre vie et voler de ses propres ailes. En ce qui me concerne, j’ai décidé de ne pas décider de la programmation au sens strict, me contentant de nommer une série d’artistes proches du fiEstival à qui était confiée la tâche de définir la programmation réelle. On leur a dit grosso modo : « Vous avez carte blanche complète pour proposer une performance et investir un moment du fiEstival, voilà le thème directeur, à vous de jouer. Seule consigne : inviter des gens qu’on ne connaît pas pour amener de la nouveauté. » Le lâcher-prise a été la meilleure solution pour incarner l’arcane de la force au niveau non seulement du thème, du contenu mais aussi de la procédure. Notre intervention ne touche donc pas au domaine artistique et se borne aux questions techniques, financières et logistiques. En bref, si un lâcher-prise absolu est impossible, j’ai décidé de certaines choses (ex. le nombre d’artistes, composé de trois duos et huit individualités) pour ne plus avoir à décider par la suite. Autant dire que lâcher-prise et confiance sont indissociables.
Le fiEstival a-t-il des équivalents à l’échelon international ?
Au sens strict, non, il est unique, mais au sens large, en tant qu’évènement consacré à la performance poétique, son esprit, par pouvoir de fécondation, a commencé à germer dans des festivals de poésie à l’étranger qui existaient auparavant mais qui se sont inscrits dans une sorte de famille poétique de par les échos nombreux avec notre fiEstival, notamment à Genève (Poésie en ville) et en Bretagne (Festival Sémaphore). À mon grand plaisir. Par ailleurs, j’ai aussi pu constater la réception et la reconnaissance du fiEstival auprès d’artistes accomplis à propos desquels on se dit a priori : « Ce n’est pas le genre de personnes auxquelles on a quoi que ce soit à apprendre. » Pourtant, Marc Kelly Smith, le fondateur historique du slam, également organisateur d’événements depuis des années, nous a confié un jour à toute l’équipe et à moi, ému : « David, tu réussis à faire ce dont j’ai rêvé toute ma vie. » À savoir créer un véritable rassemblement festif alliant à la fois événement de qualité et succès populaire, où artistes et public ne se définissent pas en fonction d’un statut distinct (les spectateurs regardent, les acteurs se montrent) mais avant tout comme des êtres humains mus par le respect, l’échange et la rencontre.
La poésie semble être un art particulier au sens où elle semble être plus qu’un art : on peut ainsi attribuer une dimension poétique à des œuvres appartenant à d’autres arts comme le cinéma, la danse, le théâtre, la photographie, sans pour autant renvoyer à la poésie au sens strict et littéraire. Par conséquent, la poésie est-elle plus que l’expression de poèmes et d’une forme de littérature ? Est-elle aussi un rapport à la vie ?
Au début était la poésie. Je pourrais ne rien ajouter. En d’autres mots, au début était le souffle, comme écrit dans les textes. Non pas le verbe mais le souffle. Si on prend le fameux tétragramme divin YHWH, imprononçable normalement, c’est l’incarnation du souffle, en consonnes. Le souffle, par son inflexion, donne le sens dans l’écriture consonantique. Un ami philosophe me confiait il y a des années que pour lui la poésie ressemble à l’écriture consonantique : selon l’inflexion qu’on va donner par la voyelle et la lecture, on donne tel ou tel sens en ouvrant le champ des polysémies, des multiples significations d’une chose, d’un mot, d’un concept. Chaque mot est important cependant. La poésie est aussi affaire de mots, qu’elle soit écrite ou orale. Raison pour laquelle la poésie, parmi les arts de l’écrit, est celui qui accorde le plus d’attention au choix, non seulement du mot mais aussi du nombre de mots, aussi restreint que possible. C’est l’idée de dire le plus en disant le moins, d’exprimer le plus de choses en utilisant le moins de mots. L’important, c’est le souffle, l’action, l’acte de respiration même. C’est la vie. La poésie n’est donc pas qu’un adjectif. Un film peut être poétique, quelque chose peut être poétique, mais tout dépend du souffle.
La poésie incarne aussi la recherche de l’authenticité, qui est la chose la plus difficile. Je fais ici référence au discours magistral d’Antonio sur l’authenticité lors de l’inauguration de la dernière édition du fiEstival, où il montrait bien que l’authenticité ne se réduit pas à notre instinctivité et à notre naturalité, à la part d’enfant en nous. Nous sommes nécessairement amenés à traverser la culture, l’éducation, la société et l’histoire, c’est pourquoi nous devons ensuite réapprendre à revenir sans vraiment revenir. On a beau ne pas revenir exactement au point de départ, cette traversée doit nous permettre de devenir nous-mêmes. On doit viser à l’authenticité. Pour moi, la poésie, l’art, et même la science et la philosophie, s’inscrivent dans cette quête.
Étymologiquement d’ailleurs, si on remonte à la Grèce antique, les notions de poésie et d’art proviennent du verbe grec poiein , signifiant faire , produire , comme si l’essence de la poésie se trouvait dans l’acte de créer.
En effet, même si ce constat vaut essentiellement pour la culture occidentale. Aristote associait d’ailleurs le concept de poiesis au fait de « faire en vue de créer une œuvre », c’est-à-dire pas seulement faire , mais faire avec un but . Aussi, le fiEstival représente pour moi la poésie en ce qu’il illustre l’idée de faire dans le but de créer une œuvre. On retrouve cette logique dans l’acte de reproduction entre deux individus lorsqu’ils font l’amour avec l’intention de donner vie à un enfant. La beauté de la poésie c’est aussi qu’elle signifie plusieurs choses selon la culture considérée, chaque facette/acception cohabitant avec/complétant les autres. Chez les Amérindiens par exemple, on n’opère aucune distinction entre le fait d’utiliser un mot susceptible de désigner le concept de poésie (qui n’existe pas comme tel dans leur langue) et le fait de raconter des histoires. Quelque part, pour eux, poésie et conte renvoient au même sens. Cette singularité culturelle m’a profondément inspiré lorsque j’en ai pris connaissance car je suis convaincu depuis des années qu’un jour on comprendra qu’originellement il existait une protohistoire commune à la poésie, à la chanson, à la blague et au conte : les premières histoires ont commencé à se diversifier autour du feu, se muant alors en conte, poésie, chanson ou blague (dépositaire de beaucoup de sagesse contrairement à ce qu’on pourrait penser).