Entre le poids des secrets de famille et la réalité hostile de l’époque de la ruée vers l’or, De l’or dans les collines, premier roman de C Pam Zhang (Seuil, janvier 2022) nous livre un amour sensible qui dépasse le temps et les rancœurs.
Dix-neuvième siècle, à l’Ouest des États-Unis, Sam et Lucy sont deux sœurs que tout oppose. À la mort de leur père, et déjà orphelines de mère, les deux filles de « chinetoques » errent dans le désert à la recherche du lieu adéquat pour creuser sa tombe. Après l’enterrement, les différences de Sam et Lucy encouragent plus que jamais leur séparation. Ce n’est que cinq ans plus tard qu’elles se retrouvent et décident de se réunir, profitant du peu de temps qui leur est octroyé. Pour réaliser comment les sœurs en sont arrivées là, le texte promène le lecteur d’une période à une autre en scindant les chapitres par dates. D’abord face à beaucoup de non-dits, on est entraîné progressivement dans le passé de la famille, de façon à comprendre l’absence de la mère, la conséquence de cette absence sur l’alcoolisme du père qui provoque sa perte et finalement sa mort. Plus précisément, on apprend à connaître le caractère des filles et ce qui cause leurs différences. L’aînée est plus scolaire, apprécie l’Histoire, et présente le caractère de sa « ma », tandis que la cadette est plus virile, masculine et marche dans les pas de son « ba ». Les sœurs sont rivales, ne trouvant pas assez de reconnaissance dans les yeux du parent avec qui elles partagent le moins.
Ce roman de C Pam Zhang possède la qualité de nous faire entrer dans l’importance des incidences du passé sur le présent. En nous présentant l’histoire des filles, il nous invite à comprendre la culpabilité engendrée par l’absence de communication et de sincérité que l’on peut trouver au sein des familles. Ainsi, l’histoire de Sam et celle de Lucy sont influencées non seulement par leur passé propre, mais également par le passé encore plus lointain de leurs parents. En choisissant de l’ancrer dans l’Amérique de la ruée vers l’or, C Pam Zhang intègre son roman dans l’héritage des États-Unis, liant ainsi le destin des sœurs à celui d’une Histoire tant appréciée par Lucy.
Plus facile d’éviter cette histoire, non écrite sauf dans le chuchotement de l’herbe sèche, dans les traces des pistes perdues, dans les rumeurs sorties de la bouche d’hommes lassés et de filles méchantes, dans les dessins brisés des os de bisons.
L’origine chinoise de l’autrice est inscrite dans le roman à la fois par le choix de l’identité des personnages et de leur vécu, mais également par le choix de leur langage. Ba et ma sont d’origine chinoise. Le premier est né dans les collines tandis que la mère est arrivée aux États-Unis par bateau. Le regard hostile des Américains à l’égard des prospecteurs étrangers est d’ailleurs illustré dans le roman, témoignant notamment des lois racistes établies à cette époque. Aussi, bien que ba et ma parlent anglais, puisque le roman est américain, leurs dialogues sont teintés de mandarin. Si la langue ajoute de la vraisemblance au récit, il est parfois dommage de ne pas avoir d’accès direct à sa traduction. Souvent, le sens de ces expressions est relativement limpide, mais il arrive qu’une note soit nécessaire pour comprendre les subtilités d’un dialogue, or aucune note n’est ajoutée au récit. Peut-être, dans le climat dénoncé dans le récit, cette absence de traduction représente-t-elle une volonté de l’autrice de plonger son lecteur dans une certaine incompréhension.
Malgré la lenteur de l’histoire et la difficulté des événements qui s’y dessinent, De l’or dans les collines est un roman à la fois dépaysant et extrêmement familier. D’une part parce que son atmosphère chaude et lourde nous entraîne dans les collines américaines. Du désert des collines à la ville de Sweetwater, des maisons de riches propriétaires aux maisons rouges décorées de tissus drapés, en passant par les cahutes défraîchies et pleines de poussière… Les personnages représentent tantôt l’Amérique riche, puissante et paternaliste, tantôt les mineurs qui rampent et comptent jusqu’à la dernière pièce pour payer les dettes qui s’amoncellent toujours plus vite. Là où De l’or dans les collines peut par ailleurs paraitre familier, c’est dans les relations qu’entretiennent les membres de cette famille démantelée. Parce que ces relations laissent aux sœurs des séquelles, et pourtant un amour sincère qui les lie dans une interdépendance touchante.
Il me semble que, pour te raconter toute l’histoire, je dois te raconter aussi celle que j’aurais aimé être vraie.
Si De l’or dans les collines est salué par la critique et prétend à la célèbre distinction du Booker Prize, il ne séduit toutefois pas à l’unanimité. Selon moi, le roman manque de rebondissements et gagnerait à être moins prévisible. Le caractère des sœurs ne semble pas évoluer : elles gardent leur place dans un environnement qui leur convient même si on cherche à nous faire croire qu’elles prennent des horizons différents. Finalement, ce sont les secrets et les silences qui dominent dans ce roman, mais d’une façon qui en dit malheureusement trop peu pour rendre ses personnages et son intrigue attachants.