Drumming
Drumming, c’étaient douze danseurs de la compagnie Rosas, l’ensemble de musique contemporaine Ictus et le Théâtre National, parce qu’il fallait de la place pour accueillir du monde. Et c’était splendide.
Drumming [1] est une des œuvres qui a apporté sa réputation d’excellence à Anne Teresa de Keersmaeker. Fondée sur les structures géométriques, son écriture chorégraphique se tisse en lien étroit avec les structures musicales à partir desquelles elle travaille. Drumming est représentatif de la musique minimaliste dont Reich est une des figures, et plus particulièrement du phasing ou, en français, déphasage, procédé de composition qui consiste en la répétition par les musiciens d’un bref motif avec un décalage qui s’accentue au fur et à mesure.
De Keersmaeker bâtit dès lors sa chorégraphie sur une phrase de base, déclinée et amplifiée par des spirales, motif autour duquel se déploie le spectacle. Elles apparaissent au sol, marquées par des étoiles en gros scotch orange fluo qu’on devine sous une bande déroulée du tapis noir. Les mouvements des danseurs, pour se croiser sans s’entrechoquer, suivent ces lignes directrices. La spirale imprime aussi le rythme de la danse, depuis la lenteur des débuts, vers une accélération en course folle et jusqu’aux beaux portés de la fin.
La construction est presque savante, et la danse d’Anne Teresa de Keersmaeker est connue pour son abstraction. La pièce peut compter sur les danseurs de Rosas : les mouvements sont parfaitement exécutés, chaque geste est porté par une mélange de puissance et de légèreté ; fascinée par cette incarnation même de l’équilibre et de la force, je pourrais les regarder des heures. La beauté qui me frappe est donc formelle, mais je suis aussi émue. Parmi ces mouvements d’une perfection géométrique, les étincelles de fantaisie prennent un relief poignant. Quand, comme pour annoncer les portés à venir, deux danseurs se rapprochent pendant une phrase rapide et s’effleurent mutuellement la nuque, l’effusion est d’autant plus touchante qu’elle est pudique.
Je découvre aussi le travail d’Anne Teresa de Keersmaeker dans l’ordre inverse à la chronologie et je suis touchée de revoir sous une forme plus discrète les marques que j’ai vues plus affirmées dans ses spectacles plus récents. Déjà, les vêtements sont clairs, avec un peu de noir, et une ou deux touches de couleur – deux gilets orangés. Le clair-obscur du spectacle, qui commence avec un éclairage faible, laissant un des deux danseurs dans la pénombre, me rappelle celui de Cesena , où la première demi-heure se donnait à quatre heures du matin, dans le noir complet. On ne percevait alors de la danse que les sons, le rythme des pieds sur le sol – ici, par moments, on les entend crisser. Comme si le poids du corps et l’ardeur au travail se rappelaient à nous là où tout paraît si facile et léger.
[1] Créée en 1998.