critique &
création culturelle

Entretien avec

Richard Turcey

Guitariste, poète, chanteur et écrivain, Richard Turcey, fraîchement diplômé du Master de Création littéraire du Havre, aime lier les arts, en particulier le texte et la musique. Sa nouvelle Les Eaux croupies vient d’être publiée aux éditions Animal Debout (Rennes, juin 2018).

Quel est ton premier souvenir d’écriture ?

Richard Turcey : C’était au collège. J’avais des potes qui écrivaient un roman ensemble, ils pensaient se faire plein de thunes avec ; je me suis dis que c’était peut-être un bon plan. J’ai commencé à écrire des nouvelles. Je me souviens d’être assis au CDI à essayer de faire des phrases un peu plus élaborées que d’habitude, mais je n’avais aucune idée de ce que c’était, être écrivain.

Et de pratique musicale ? (La flûte à bec ne compte pas !)

R. T. : La guitare, en seconde. Je n’ai pas commencé pour plaire aux filles mais parce que ma cousine en jouait. C’était mon époque rock, une époque où je cherchais une identité.

Quels rapports établis-tu entre la musique et l’écriture ?

R. T. : J’écris toujours en musique, c’est à la fois naturel et nécessaire. Je ne peux pas écrire en silence. Je me suis vite rendu compte que la musique avait une influence sur ce que j’écrivais. Le souci du rythme, notamment.

En ce qui concerne la musique que je crée, je vois une musique dans les textes que j’écris. Ce qui m’a amené à les lier, à tenter de restituer cette musique. Mon texte ingère la musique que j’écoute et ce texte me renvoie une autre musique, une bande son.

Penses-tu d’abord à la musique et ensuite au texte, ou l’inverse ?

R. T. : Je pars toujours de la musique, c’est un déclencheur.

Que t’a apporté le Master de Création littéraire du Havre ?

Beaucoup de temps, déjà. Aujourd’hui c’est un luxe. Et puis, j’avais plus d’assurance avant le Master qu’après quelques mois passés là-bas. Je me suis pris des claques, je me suis confronté à des gens qui écrivaient avec plus de fougue et peut-être plus de talent. J’ai compris qu’il fallait surtout travailler, oublier les conneries d’inspiration et de textes qui s’écrivent par eux-mêmes ; c’est l’idée que j’en avais, une idée naïve de jeune homme qui jouait à singer Baudelaire. Ça m’a rendu plus efficace, plus lucide aussi. Avant de venir, écrire était un fantasme. C’est devenu une réalité, en partie grâce à la rencontre d’écrivains ; ils nous ont poussés à sortir de notre zone de confort. Je faisais du pastiche, maintenant j’ai découvert ma voix. J’écrivais majoritairement de la poésie, je me suis pris pour un essayiste pendant quelques mois, puis je me suis rendu compte qu’il se passait quelque chose avec la fiction, le roman.

De quoi parle Les Eaux croupies , ta nouvelle éditée aux éditions Animal debout dans la collection « Fabuleux ZOOpuscules » ?

R. T. : Il faut d’abord remettre en contexte : pendant trois ans, la directrice de formation, Laure Limongi, nous a incités à participer à des appels à textes. Je n’étais pas prêt à me confronter à un processus de sélection. Puis je suis tombé sur le concours lancé par cette nouvelle maison d’édition, ayant pour thème « géographies animales ». J’ai envoyé ma nouvelle, sans grande conviction, parce que c’est une nouvelle qui dormait dans mon ordinateur, un texte écrit dans le cadre d’un workshop d’ailleurs, sous la direction de l’écrivaine Ryoko Sekiguchi.

C’est une nouvelle délicate à résumer (rire gêné), c’est l’histoire d’une salamandre qui se fait violer par un crapaud. Ce qui m’avait intéressé c’est que dans tous les documentaires que j’ai pu absorber, la salamandre avait l’air toute puissante, résistante au feu, la peau venimeuse ; c’est une guerrière. Et cette anecdote lue quelque part, de salamandres violées puis tuées par des crapauds qui se méprennent, elle entrait en rupture avec le mythe que je m’étais fait de l’animal.

Quels sont les thèmes récurrents abordés dans tes œuvres ?

R. T. : Quelque chose s’est dégagé de ces trois dernières années. Beaucoup d’hommes seuls qui pensent, ont une activité intérieure mouvementée. Ça me vient de lectures comme À rebours de Huysmans. C’est un schéma qui revient. Des thèmes basiques comme la question du désir ou de son absence, de la relation entre des êtres vivants qui ne se comprennent pas et vivent dans des univers différents. C’est un peu de la philosophie de comptoir mais ces thèmes m’intéressent.

Quel est le dernier chanteur / musicien qui t’a interpellé ?

R. T. : Je suis venu à la littérature par la chanson. Notamment grâce à Nick Cave, qui est un artiste complet (auteur, musicien, acteur…) Il m’a fasciné parce que c’est un homme qui, à travers ses productions, a réussi à élaborer tout un univers, un monde cauchemardesque parfois percé de lumières. Je le vois comme un créateur au sens pur du terme, un démiurge.

Il a façonné ma manière de recevoir certaines œuvres, et ma manière d’écrire.

Tes projets d’avenir, après ce Master?

R. T. : Envoyer mon roman à des éditeurs, laisser passer l’été, en profiter pour lire aussi.

Je me suis longtemps vu faire une thèse, enseigner à la fac mais après ces trois ans, mes plans ont été bouleversés. J’ai accepté l’idée que je pouvais faire ce que je voulais, avec en contrepartie une situation financière moins stable. Je pense chercher des résidences, effectuer quelques remplacements en collèges ou lycées pour payer mes courses (rires).

J’ai très envie de concevoir un album. J’ai aussi le fantasme de réaliser un film. Si on exclut les arts plastiques, je veux tout faire.

À court terme, me pencher sur mon deuxième roman, que j’ai déjà en tête.

Peux-tu nous faire un court résumé du roman que tu viens d’écrire ?

R. T. : Le roman s’appelle En surface . C’est le récit d’un homme en voiture, son trajet s’effectue parmi les lieux clefs de son enfance, en Normandie. Ce roman ne suit pas une structure linéaire mais plus celle d’une promenade, avec des scènes, des souvenirs d’enfance. Je prends l’exemple d’une scène au camping, qui représente à la fois un été particulier et tous les étés passés là-bas. Au fond c’est très simple ; c’est un homme qui apprend ce qu’est la nostalgie.

Pour finir, le livre et la musique qui t’ont le plus marqué ?

R. T. : Le livre, c’est … (temps mort) Fernand Pessoa, Le Livre de l’intranquillité .

Une musique ? Je ne peux pas choisir un album ?

Non.

R. T. : Alors « Avalanche », de Leonard Cohen.

La taxonomie sélectionnée pose problème. Réessayez ou choissez-en une autre.

Même rédacteur·ice :

Les Eaux croupies

Edité chez Animal Debout
2018.