critique &
création culturelle

Festival Cinéma du réel 

L’art du documentaire

Cinéma du réel, le festival international du cinéma documentaire, était de retour à Paris pour une 47e édition. Entre guetteur d’incendies, contemplation de camps de détention contemporains et reportages anciens en Palestine, retour sur quatre films qui, chacun, offrent de nouvelles manières de scruter, de faire film et de documenter le réel.

Le festival Cinéma du réel, rendez-vous incontournable des amateurs et professionnels du film documentaire, nous revenait cette année du 22 au 29 mars, dans une poignée de salles parisiennes, pour présenter quelque 149 films, dont 69 longs métrages et 80 courts métrages. Sur toute cette programmation, j’ai pu en voir quatre, piochés par-ci par-là, sans grande réflexion a priori ni cohérence a posteriori. En voici le récit dilettante.

Le Cinéma du réel, avant tout, est une compétition.Trente-sept films en lice, tous inédits en France. J’ai pu assister à l’un d’eux, In the Manner of Smoke d’Armand Yervant Tufenkian (2025, États-Unis/Royaume-Uni, 90', Anglais - STF) qui s’est vu remettre le Prix international Cinéma du réel, c’est-à-dire le second prix du festival. Le réalisateur y tisse des images, des rêves, des évocations, entre son expérience de guetteur de feux de forêt en Californie et l’art du peintre pointilliste Dan Hays, installé à Londres.

© Dan Hays, Delilah Lookout 5 (huile sur canvas, 120x160cm, 2021)

Le documentaire est un volute de fumée. Les images et les voix, vaporeuses, offrent une expérience enveloppante et capiteuse de fièvre, de demi-sommeil, de perte de repère comme seule sait l’offrir l’observation prolongée du feu. Le film brouille les rôles que l’on attribue au documentaire (décrire ? comprendre ? explorer ? expliquer ? éduquer ?) pour se satisfaire d’évocations fumantes (et parfois fumeuses). On se demande quel régime de vérité doit offrir un documentaire pour être documentaire, et si le simple fait de filmer le réel, sans expliciter ce qu’on filme (voire même, brouiller les pistes) suffit à faire qu’un film devienne documentaire. La question reste ouverte, et a le mérite d’être posée.

Mais Cinéma du Réel n’est pas qu’une compétition. On y trouve d’autres sections, comme « Première Fenêtre » qui s’intéressent aux premiers films de jeunes documentaristes, ou une rétrospective croisée de quatre grands noms du cinéma documentaire — cette année Ryusuke Hamaguchi, Wang Bing, Julia Loktev et Ghassan Salhab.

La sélection « Front(s) Populaire(s) », elle, propose une série de films résolument politiques, qui s’ancrent dans les problématiques contemporaines et revendiquent le cinéma comme espace de lutte. La séance à laquelle j’ai pu assister mettait ainsi en regard deux films aux thématiques et traitements proches, From Afar, de Gilles Vandaele et Martijn De Meuleneire (2025, 33', Français, Anglais - STF), film belge de la sélection, et Devant – contrechamp de la rétention d’Annick Redolfi (2024, France, 78', Français).

From Afar © Gilles Vandaele & Martijn De Meuleneire

Le premier film s’intéresse aux Centres Fermés belges ; le second, à un Centre de Rétention Administratif français. Le premier filme les centres à distance, dans des grands plans fixes, paysagers ; le second n’est pas autorisé à filmer le centre, et scrute les visages et les histoires de ceux qui attendent, dehors, devant. Le rapprochement intelligent des deux films illumine crûment les réalités para-légales de ces centres où règnent l’arbitraire de l'administration et l’impunité des gardes. On entend, plusieurs fois, tout au long des deux films, que « c’est pire que la prison ». Les deux films sont excellents, très forts dans leur manière formelle d’exprimer l’inaccessibilité et l’intouchabilité de ces lieux, et à faire grandir notre colère quant à notre impuissance commune. From Afar est en cela très parlant, quand il filme les manifestations qui finissent devant les centres, quand les pancartes s’abaissent, que les slogans s’épuisent et que la maigre foule s’éloigne, que le silence revient et que le centre reste, imperturbé, à distance, dans cette campagne idyllique qui est une insulte de plus.

Israel Palestina på svensk tv 1958-1989 de Göran Hugo Olsson

Enfin, le festival projettait également quelques « Séances spéciales », dont Israel Palestina på svensk tv 1958-1989 de Göran Hugo Olsson (« Israel Palestine on Swedish TV », 2024, Suède/Finlande/Danemark, 206', Suédois, Anglais, Arabe, Hébreu - STF). Compilation d’archives de la télévision suédoise sur l’occupation israélienne des territoires palestiniens, entre 1958 et 1989, c’est moins cette histoire que son traitement médiatique en Suède que raconte le documentaire. Durant la trentaine d'années que couvre le film, les reporters suédois étaient presque en permanence sur le terrain palestinien et israëlien, documentant tout, de la vie quotidienne dans un Etat d’apartheid aux grands évènements de violences qui en scandent l’histoire. Durant plus de trois heures — que l’on ne voit pas passer —, le réalisateur revêt ainsi les habits humbles du monteur ou de l’archiviste, et se contente d’orienter notre regard plutôt que de construire les images. Olsson s’était déjà essayé à l’exercice, dans The Black Power Mixtape 1967-1975, où il s’intéressait au traitement cette fois du mouvement de libération civique des Noirs américains, toujours sous l’œil des journalistes suédois de l’époque. Le documentariste travaille donc un réel médié, un réel double, qui est à la fois le contenu des reportages (le réel imprimé sur la pellicule) et l’archive du reportage lui-même (le réel de la pellicule dans sa matérialité). Et l’on se demande si l’un des registres de réalité est supérieur à l’autre. On s’interroge sur le nouveau registre de réalité qu’est en train de créer Olsson, par sa sélection des archives, par son montage des plans, et qui peut faire dire ce qu’il veut aux précédents registres. Et l’on se demande si, dans cette médiation, dans ce travail réel sur du réel, les choses se perdent ou s’enrichissent.

Un peu des deux, sûrement. Trois séances pour quatres films, et des centaines de manqués. Mais déjà autant de nouvelles façons d’aborder l’art documentaire, de tisser les rapports entre réel et récit, de faire sens et de faire cinéma.

Même rédacteur·ice :

Cinéma du réel

47e festival international du cinéma documentaire

Du 22 au 29 mars 2025

https://www.cinemadureel.org

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