@FIFF2016
Le scénario avait déjà été présenté au Forum de Namur en 2013. Prévu comme film d’anticipation, Wùlu résonne finalement comme l’explication d’une réalité, celle de la crise malienne des années 2000. Il aborde le trafic de drogue de l’Afrique de l’Ouest jusqu’à l’affaire « Air Cocaïne ».
Les frissons dans le dos, le réalisateur Daouda Coulibaly nous fait entrer dans les méandres du commerce souterrain. Le film est conçu comme une fable racontant le parcours initiatique de Ladji (Ibrahim Koma). Ce dernier est un jeune homme qui va tourner mal, or rien ne le prédestinait à cela. Dans l’attente de sa promotion, il se voit propriétaire et conducteur de son propre bus. Un futur qui a plutôt l’air net. Le fait est que, très déçu de ne pas se le voir attribuer, il décide de tout quitter et d’aller voir une connaissance qui lui doit une faveur. À partir de là est décrit un rêve qui progressivement va virer au cauchemar. La tension monte d’un cran après chaque séquence et le film ne nous laisse pas le temps de reprendre notre souffle. Entre des plans de bétail abattu et l’atrocité qui s’en dégage, le combat intérieur de Ladji se dépeint. C’est un homme avec du sang sur les mains et, en même temps, on a de l’empathie pour lui.
Il ne digère pas le coup de la promotion qui lui est difficile. Le monde est cruel et en quittant son poste dans la compagnie de bus, il va découvrir que ce qu’il savait n’est rien comparé à ce qui l’attend. D’une part, s’il a choisi ce chemin, c’est surtout pour l’argent facile, à condition de bien s’y prendre. Et on comprend très vite que Ladji est un petit malin. D’autre part, c’est aussi parce qu’il en a marre de voir sa sœur (Inna Modja) se prostituer. Il s’en veut, il n’arrive pas à subvenir à leurs besoins et il en a marre de cette vie de chien à se demander quoi manger chaque jour pour le lendemain. Il veut autre chose et le monde de la drogue va l’y aider.
Rapidement, il se fait une place et son environnement change du tout au tout. Sa sœur n’est plus obligée de vendre son corps. C’est une atmosphère de luxe et de violence qui se dessine et elle est alarmante. Comme pour une pièce de monnaie, il y a un côté pile et un côté face. À travers le mauvais, Ladji arrive à se construire une fortune qu’il dépense sans compter pour sa sœur et lui. Il parvient à côtoyer la haute sphère politique du pays. Loin d’être de l’ordre de l’anecdote, cette histoire explique la position du Mali dans ce commerce opaque. Le scandale « Air cocaïne », c’est la plus flagrante expression de la situation malienne dans les années 2000. Un avion à la cargaison de drogues et pas en petites quantités atterrit. Son transport ne se fait pas sans difficulté mais, avec l’aide de l’État, c’est tout à fait réalisable. Voilà ce que veut montrer le film, la corruption du système et les dérives auxquelles il mène.
Ce qui est très bien compris. En effet, à travers Ladji, le réalisateur dévoile un monde qu’il ne veut pas montrer qu’à moitié. Le personnage principal réfléchit beaucoup et le spectateur perçoit grandement son état d’esprit, qui progresse jusqu’à sa tragique fin. C’est un monde qui ne fait pas de cadeaux et on s’en rend compte à travers l’implantation massive de ce dernier en Afrique de l’Ouest.
Par des plans plus qu’explicites, on perçoit le mal qui s’insinue chez les dealers débutants jusqu’à l’utilisation de femmes comme passeuses. Les conditions pour accéder à ce monde sont posées. Il faut se conforter à ce qu’on te demande de faire car une fois impliqué, tu risques ta vie. D’ailleurs, Ladji ne veut pas de ce monde. Dans son esprit, il le voit comme un mal pour un bien sans toutefois arrêter de s’interroger constamment sur ses actes. De l’extérieur, tout paraît déraisonnable et insensé. On nous montre de l’inmontrable. Une comparaison avec le bétail est réalisée ; plus l’animal est dépecé, plus Ladji est perdu, et plus la corruption s’est emparée de lui.
Ladji et son regard expliquent une réalité. Il s’autocritique, car il se dégoûte lui-même. Mais on peut voir que ce n’est pas forcément le cas d’autres qui n’y voient que l’appât du gain alors que nombre d’injustices existent dans ce système noir. Pourtant, ces injustices ne sont pas toutes montrées à l’écran. Le film insiste surtout sur ce qui pousse Ladji à continuer ce qu’il a commencé, sur la relative facilité à entrer dans cette sphère, tellement elle imprègne le pays. Maintenant qu’il y est impliqué jusqu’au cou, il ne peut plus reculer.
La réalité du Mali, c’est une pauvreté présentée dans un monde de drogue et de corruption. Chaque habitant y est confronté, se pose la question de s’y résoudre ou non. Après tout, il est facile de débuter dans ce monde. Un contact peut nous y introduire. Ce qui se passe, par la suite, est loin d’être une partie de plaisir. On voit très vite le problème du pays. C’est un futur sans espoir, il n’y a pas de projection possible dans l’avenir. À moins de céder à la solution à la fois la plus facile et la plus dangereuse, vivre n’est pas possible. C’est une réalité dure et éloignée, difficile à digérer, où l’argent règne en maître.
Le film est d’une profondeur choquante. Il ne lésine pas sur les images. Des silences entre les plans accentuent le côté cru des séquences. Il dévoile la vérité quotidienne d’une réalité qu’on ne montre habituellement pas de cette manière. C’est un récit vécu de l’intérieur qui se révèle sous la forme d’un thriller.