@FIFF2017
Après l ’Étrange Couleur des larmes de ton corps , le duo Hélène Cattet/Bruno Forzani est de retour avec Laissez bronzer les cadavres , un film aux allures de western spaghetti psychédélique. Le film est une adaptation du roman éponyme de Jean-Pierre Bastid et Jean-Patrick Manchette.
Le synopsis de ce nouveau projet laissait penser que le duo allait changer de registre pour ce troisième long métrage. Pourtant, Laissez bronzer les cadavres s’inscrit dans la parfaite continuité de son travail : il est tout aussi ambitieux et esthétique. Le duo use de nombreuses références comme à son habitude : impossible de ne pas penser aux films de Sergio Leone lorsque retentissent les mélodies d’Ennio Morricone, auxquelles s’ajoutent d’autres musiques de films ( la Route de Salina , Chi l’ha vista morire ou Matalo ). Le pari est d’autant plus risqué car ces références ancrent le film dans le genre. En les accumulant, Hélène Cattet et Bruno Forzani n’ont pas peur d’entrer dans des cases prédéfinies. Mais cet attrait pour le cinéma italien des années 1980 fait aussi la force du film.
Les genres du giallo (épouvante-policier-érotique) ou du poliscieso (néo-polar italien) correspondent à des tendances actuelles, c’est une nostalgie moderne. Celle-ci se prolonge du coté technique : le film est tourné en pellicule, ce qui devient rare en Belgique. Nicholas Windin Refn, cinéaste danois connu pour Drive ou Neon Demon , a également fait revivre le giallo mais sous les traits du numérique. Ce choix faisait d’autant plus passer la nostalgie du côté de la modernité.
C’est la première fois qu’Hélène Cattet et Bruno Forzani adaptent un roman à l’écran. Habituellement, leur cinéma est reconnaissable par la déconstruction narrative qu’il opère. Laissez bronzer les cadavres est, au contraire, une histoire linéaire dont l’action se déroule sur vingt-quatre heures et principalement dans un même lieu. Le récit avance alors par fragments : le temps est compté et il peut avancer très vite comme très lentement, lorsque la tension est à son comble. Mais ce n’est manifestement pas du côté du scénario que le duo montre le plus son talent. L’histoire est reléguée au second plan, moins importante que le son et l’image. Des personnages, le spectateur ne saura presque rien. Ils sont esquissés rapidement par quelques traits caricaturaux, une voix ou un regard.
Les films de Cattet et Forzani laissent peu de place aux comédiens. Difficile d’imaginer le déroulement d’un tournage. Les comédiens parlent à peine, sont filmés en gros plans ou en ombres. Et cela ne les aide pas : aucun jeu ne se déploie réellement, ils sont enfermés dans des chorégraphies et œuvrent pour la beauté esthétique du film plutôt que pour sa profondeur.
Laissez bronzer les cadavres est une œuvre qui ne laisse pas indifférent d’un point de vue esthétique. Les deux réalisateurs aiment la mise en scène et la perfectionnent film après film. Ils jouent sur les couleurs, n’hésitent pas à ajouter des effets, pourtant parfois excessifs. Leur caméra se balade sur les corps, entre dans l’intimité des personnages. Tout est montré sans modestie. Les morts sont brutales et le soleil éblouit. Hélène Cattet et Bruno Forzani font ainsi du décor un personnage à part entière. Ils arrivent à filmer la côte d’Azur sous un autre jour et avec brio.
Leur cinéma est avant tout sensoriel. Sur leurs trois longs métrages, le duo a effectué un travail minutieux sur le sound design . Six mois de travail en post-production ont été nécessaires pour rendre l’expérience aussi forte. Les sons sont exacerbés, ce qui rapproche le spectateur des tensions naissantes dans le récit. Les deux réalisateurs insistent sur l’importance de voir leurs films en salle. L’important est l’expérience, l’impact physique qu’a la séance sur les corps immobiles des spectateurs. Le film vise le spectateur, en fait sa proie. Nous sommes dans le viseur des personnages, qui sont à deux doigts de nous tirer dessus à la carabine.
https://www.youtube.com/watch?v=ONMbWj8u-RA