German Angst
Pour cette deuxième semaine du BIFFF, j’ajoute une critique du très attendu German Angst à mon carnet de bifffeur. Ce film, en première belge, regroupe trois réalisateurs amateurs du genre horrifique : Jörg Buttgereit, Michal Kosakowski et Andreas Marschall . Trois segments, trois réalisateurs, mais un seul fil rouge : l’angoisse allemande. Attention, ce qui va suivre n’est ni heureux, ni joyeux, ni sympathique ; il n’y a que l’insoutenable horreur berlinoise. Vous voilà avertis.
Premier segment – Jörg Buttgereit
Ce premier segment nous raconte l’histoire d’une petite fille qui nous parle de la castration de son cochon d’Inde. À la manière d’un documentaire, elle nous explique comment cela se fait, et quels sont les effets sur la bébête. Mais lorsqu’elle passe de la théorie à la pratique sur un homme – vraisemblablement son père – attaché au lit, le documentaire prend une autre forme…
Le huis clos proposé par Jörg Buttgereit est assez étrange par les choix de réalisation, mais il reste très esthétique. Du point de vue de l’image, les plans très resserrés sur la fille et son animal de compagnie entraînent le spectateur dans le monde fermé d’un esprit assez étroit. Ce monde étriqué peut rendre pratiquement claustrophobe. L’écoulement du temps n’est presque pas représenté, ce qui fait perdre les repères du spectateur.
Au niveau sonore, toutes les informations passent par la voix off . Le spectateur est d’emblée enfermé dans l’esprit torturé de la jeune fille, qui a été marquée par une fracture mentale. Laquelle ? C’est la radio qui dévoile l’information au public : son père a égorgé sa mère. Jörg Buttgereit prend le risque de ne pas utiliser le dialogue , la relation père-fille n’en valant plus réellement la peine. Les informations passent donc essentiellement par d’autres éléments de sens (voix off ou photos).
Deuxième segment – Michal Kosakowski
Dans ce deuxième conte, un couple de sourds et muets se rend dans un immeuble berlinois laissé à l’abandon. L’homme raconte l’histoire de sa grand-mère polonaise qui a réussi à échapper aux nazis en 1943 grâce à un mystérieux talisman. De retour dans le Berlin contemporain, l’homme est interrompu par un groupe de néonazis… Une nouvelle histoire d’intolérance commence.
Michal Kosakowski délivre au spectateur un conte difficile à avaler, tant les thèmes abordés sont historiquement ancrés à l’histoire allemande et à l’angoisse qui en découle. Le film se déroule en deux temps : le conte de la grand-mère et sa répétition dans le présent. Au niveau esthétique, ces deux récits se distinguent par l’image . En effet, lorsque l’action de déroule en 1943, l’image est un peu sépia et comporte beaucoup de bruit. La brutalité des nazis rappelle d’innombrables récits sur le sujet, notamment Maus et l’horrible scène du bébé… Pour le Berlin moderne, le spectateur retrouve les codes esthétiques contemporains. Au niveau sonore, le traitement de la violence reste classique dans ce conte horrifique. Mais l’absence de cris et de protestation de la part du couple de sourds et muets rend la scène de passage à tabac encore plus horrible.
Avec ce conte, Michal Kosakowski montre que la haine entre allemands et polonais est toujours bien présente. Et si seulement… et si seulement la situation était inversée…
Troisième segment – Andreas Marschall
Ce dernier conte de l’angoisse allemande emmène le spectateur dans le Berlin nocturne. Eden, un homme qui vient de se faire larguer, s’enfonce dans les rues labyrinthiques de Berlin pour se rendre dans la discothèque Mabuse. Sur place, il est totalement subjugué par Kira, une prostituée qui danse de manière envoûtante . Auréolée de mystère, Kira sort de la boîte de nuit en précisant à Eden de ne pas la suivre. L’homme brave l’interdit et se retrouve dans un club fermé où l’on ingurgite des racines de mandragore pour optimiser l’expérience sexuelle…
Ce dernier chapitre proposé par Andreas Marschall est sans doute le plus esthétique des trois récits. En effet, lorsque Eden est sous l’influence de la plante, l’absence de repères s’installe progressivement pour laisser place à une mémoire perturbée et erratique . Cela correspond effectivement à l’état d’esprit d’un homme lorsqu’il abuse des sorties et des substances qui peuvent y circuler.
La bande son alterne entre une musique hard-tech et des bruits d’ambiance qui suscitent l’angoisse. Cela accompagne la perte progressive de repères que réussit à mettre en place Andreas Marschall tout au long du film.
Pour conclure
German Angst est un film particulier car il aborde des thèmes durs et purement germaniques en utilisant le cinéma de genre. Les thèmes politiques et culturels abordés, comme les problèmes des communautés berlinoises, du néonazisme et de la recherche des plaisirs extrêmes sont insérés soit par touches successives, soit par un coup de pelle dans la figure . Les réalisateurs s’essaient au genre court ou à des prises de risques esthétiques qui rendent ce film intéressant tant sur le fond que sur la forme.
Le pari reste cependant risqué, car certains éléments ne sont pas toujours clarifiés, faute de temps ou d’une recherche stylistique poussée à l’extrême.