Pour une réalisatrice comme Claire Denis, l’essentiel est, et a toujours été, de lever le voile sur ce qu’est l’humain, qu’importe ce qui se trouve derrière. Son premier film de science-fiction, High Life , n’y manque pas.
Qu’elle s’attelle au film de vampire ( Trouble Every Day ) ou bien à la comédie romantique ( Un beau soleil intérieur ), Claire Denis n’est pas une cinéaste pour qui les genres cinématographiques sont des notions rigides. Son cinéma est plus intéressé par l’auscultation de l’humanité que par les codes qui régissent telle ou telle catégorie de films. Sans surprise, High Life , son premier long-métrage hollywoodien (qui marque également sa première incursion dans le domaine de la science-fiction), n’a rien d’un blockbuster consensuel. Version bâtardisée de films comme 2001, l’odyssée de l’espace ou Interstellar , elle s’impose pour le spectateur comme une œuvre aussi éprouvante qu’hypnotisante.
C’est au-delà de notre système solaire que High Life nous emmène, dans les couloirs d’un vaisseau spatial vétuste qui n’est pas sans rappeler celui du Solaris d’Andreï Tarkovski. C’est un lieu à la pointe de la technologie où règnent les peintures défraîchies et les lampes clignotantes. On l’apprend vite, cet endroit sinistre n’accueille pas des astronautes surentraînés, mais des condamnés à mort envoyés à l’autre bout de la galaxie dans l’espoir de perpétuer la race humaine.
La lourde tâche d’assurer la pérennité de l’espèce incombe en grande partie au personnage de Juliette Binoche. À la fois garde et prisonnière de vaisseau, elle récolte en sa qualité de scientifique la semence de ses coéquipiers, en vue de parvenir à leur reproduction. Mais la chair est triste dans High Life , bien souvent stérile, et cet objectif est de toute évidence une tâche vaine pour ces « rebuts de l’humanité ». Dans l’espace, personne ne vous entend procréer, et personne ne s’en soucie. Du discret Monte (Robert Pattinson) au philosophe Tcherny (André Benjamin) en passant par la rebelle Boyse (Mia Goth), ils errent tous dans ce tombeau de métal, marqués par la désolation, la solitude et le désir. Ils sont des corps en quête de sens qui se rencontrent, se confrontent et s’affrontent.
Clinique et viscérale dans son approche de la sexualité de ses personnages, Denis filme sans relâche leur intimité alors que celle-ci se fait violente, désespérée, et surtout destructrice. Dans ce milieu stérile, les fluides corporels côtoient les appareils technologiques, une rencontre dont le point d’orgue est cette « fuckbox », une machine construite pour l’onanisme qui siège au milieu du vaisseau.
Poème audiovisuel jouissif, fascinant et dérangeant, High Life contient quelques-unes des images les plus marquantes de la filmographie de Claire Denis. On se souviendra par exemple de ces corps d’astronautes qui chutent dans l’espace, spectacle morbide et vertigineux. Filmée par le directeur de la photographie Yorick Le Saux, la galaxie devient un lieu vide et sombre, terriblement effrayant parce qu’il ne semble pas avoir de limite. L’alternative n’est cependant pas meilleure : le vaisseau spatial tout de métal fait nous confine à la frontière de la claustrophobie.
Cependant, High Life contient aussi un peu d’espoir face à l’apocalypse à venir. Celui-ci se manifeste notamment sous la forme d’un luxuriant jardin, véritable poumon vert du vaisseau, une oasis qui suggère la possibilité de quelque chose de vivant et de beau. Obéissant à une structure éclatée faite d’allers-retours entre le passé et le futur, le film nous révèle également l’existence d’une enfant, progéniture miraculeuse dont Pattinson s’occupe tendrement. Il y a quelque chose à la fois de magnifique et de dérisoire à cet amour paternel qui fait face au néant.
Une fois l’oeuvre terminée, les sentiments seront partagés, mais le malaise ne pourra être que grand. On se sent sale au sortir de la salle, et c’est tout à l’honneur du film. High Life touche à quelque chose d’enfoui profondément en nous, et ce qu’il a à nous dévoiler mérite d’être regardé.