critique &
création culturelle
Ils s’aiment
« Quitte à faire de la peine à Jean-Marie »

Dans Ils s’aiment , Hugh Nini et Neal Treadwell dévoilent pour la première fois leur collection d’images de couples gays. Retour sur « un siècle de photographies d’hommes amoureux ».

Aujourd’hui, nombreux.ses diraient que les mains qui s’entrelacent et les regards sur ces clichés ne trompent pas. Pourtant, les mœurs conservatrices ont longtemps fait passer ces marques d’affection pour des gestes d’amitié virile au cours de l’Histoire.

Co-éditée par Les Arènes et les Éditions 5 Continents , la sélection de 350 photographies issue de la « collection accidentelle » de plus de 2 800 photos de Nini et Treadwell est une célébration tendre de l’amour universel. Pour qu’une image soit intégrée à leur collection, il faut qu’ils soient tous deux « convaincus à cinquante pourcents qu’il s’agit d’hommes amoureux. » Le couple de collectionneurs cherche les indices et traces de cet attachement amoureux au détour d’un regard, d’une posture ou d’une main posée sur la cuisse.

Dans l’intimité d’un Photomaton ou avec la complicité d’un « allié » derrière l’objectif, des couples d’hommes de toutes classes sociales posent tantôt confiants et apaisés, tantôt enjoués, flegmatiques ou mystérieux. Les visages de ces inconnus sont étrangement familiers.

Et c’est sans doute pour cela qu’ Ils s’aiment fait battre le cœur du lecteur. Au fil de ces images sépia ou noir et blanc, provenant de cinq continents différents, les poses se succèdent et se ressemblent. Et loin de l’anecdote, ces récurrences font évidence.

Pour Regis Schlagdenhauffen, auteur de la préface du livre, ces images longtemps restées cachées sont aujourd’hui les preuves du « courage social » de ceux pour qui ce type de clichés n’était pas sans risque. La très grande majorité de ces hommes n’ont en effet jamais eu légalement le droit de se marier. Nombreux.ses sont celleux à avoir été et à être encore la cible de persécutions (goulags, camps de concentration, internements psychiatriques...) en raison de leur orientation sexuelle.

Les images se suivent et se précèdent par thématiques et lieux de prises de vues (cabine photographique, armée, plage, voitures, cérémonies clandestines…). Même si elles ne sont pas présentées par ordre chronologique, les photographies de la collection reflètent l’évolution de la mode et des techniques photographiques et permettent une réelle relecture de l’Histoire par le prisme de l’homosexualité.

Pour Sylvie Tomolillo, directrice de Poing G, le centre de ressources sur le genre de la Bibliothèque municipale de la Part-Dieu à Lyon, interrogée sur France Culture : « Il ne s’agit pas de plaquer la grille de lecture LGBT ou queer de manière anachronique – mais relire l’histoire de la médecine par exemple permet de voir comment telle ou telle pratique suscite des résistances plus ou moins fortes selon les périodes historiques. »1 Invitée dans le cadre de la même série sur l’histoire des homosexualités, Sandra Boehringer, maîtresse de conférences en histoire grecque à l’université de Strasbourg explique : « À l’époque archaïque, lorsque l’on parle d’amour, on parle avant tout des symptômes sur le corps amoureux en général. Nous sommes dans des sociétés d’avant l’homosexualité, d’avant l’hétérosexualité, il y a une certaine fluidité dans les catégories. »2

Si depuis 1990, l’homosexualité ne fait plus partie de la classification internationale des maladies de l’Organisation Mondiale de la Santé, le combat pour la cause LGBTQIA+ est loin d’être terminé. En Belgique, les demandes auprès d’associations comme le Refuge continuent d’affluer et la communauté lesbienne est invisibilisée dans l’espace public , aux États-Unis, les thérapies de conversion restent légales dans certains États tandis qu’en Tchétchénie les LGBT sont la cible d’ exactions toujours plus violentes.

En 2018, deux films américains condamnaient la pratique glaçante des thérapies de conversion : l’adaptation du livre Boy Erased de Garrard Conley par Joël Edgerton (avec Lucas Hedges, Nicole Kidman et Troye Sivan) et Come as you are , adapté du roman d’Emily Danforth, The Miseducation of Cameron , et réalisé par Desiree Akhavan et lauréat du Grand Prix du Jury à Sundance. Au programme de ces camps de thérapie : lobotomisation et incitation à la haine de soi sur fond de sermons religieux.

La photographie a également récemment abordé la thématique de l’homophobie. Avec There are no homosexuals in Iran , la photographe Laurence Rasti dénonce les propos homophobes de l’ex-président Mahmoud Ahmadinejad en photographiant des couples homosexuels ayant dû se réfugier en Turquie. En Iran, où l’homosexualité est considérée comme une « déviance » punissable de la peine de mort, l’anonymat est une question de survie.

Bien que les intentions de Nini et Treadwell soient ici purement romantiques, Ils s’aiment est un réquisitoire photographique contre l’homophobie. Nul doute que la publication de cette collection représente un grand pas pour la visibilité de la communauté gay à travers l’Histoire.
Il semble être grand temps de dénoncer l’hétéronormativité de nos connaissances. Ce livre d’utilité publique et d’intérêt historique est à mettre entre toutes les mains.

Même rédacteur·ice :

Ils s’aiment

Par Hugh Nini et Neal Treadwell
Préface par Régis Schlagdenhauffen
Les arènes et Éditions 5 Continents, 2020
336 pages