critique &
création culturelle
Boy Erased
l’impact des thérapies de conversion

Redécouvert au cinéma par le grand public lorsqu’il a été adapté en 2019, le roman autobiographique de Garrard Conley Boy Erased revient sur la réalité troublante de son expérience au sein d’un centre de conversion anti-gay.

Durant les épreuves les plus difficiles qu’il a traversées dans sa vie, l’écriture a toujours été sa passion, son moyen pour se défaire de ses démons intérieurs. Désormais, Garrard Conley en a fait son métier, signant son premier livre autobiographique, Boy Erased . Ce premier roman, il l’a écrit afin de dénoncer l’oppression religieuse et l’impact destructif des thérapies dont le but est de convertir les personnes homosexuelles en personnes hétérosexuelles .

Garrard Conley est né le 15 avril 1985 et a grandi dans l’Arkansas au sein d’une famille religieuse très conservatrice, son père étant un pasteur baptiste. Jusqu’à ses 19 ans, il cache son homosexualité à son entourage, craignant leur réaction. Quelques mois après son arrivée à l’université, Garrard se fait violer par un garçon qu’il considérait comme son ami. Il le cache à son entourage et se referme sur lui-même jusqu’au jour où son violeur, pris par la peur d’être révélé au grand jour, décide de dévoiler aux parents de Garrard que leur fils est homosexuel. Cette révélation sur son orientation sexuelle, que Garrard a toujours essayé de réprimer, déclenche alors le chaos dans sa vie. Il se sent seul, mais plus encore, il est terrifié à l’idée de perdre tout ce qu’il a connu. En effet, ses parents n’acceptent pas la nouvelle. Le soir même, son père lui pose un ultimatum, lui ordonnant de changer, de ne plus continuer à obéir à ses sentiments  sinon il sera contraint de partir de leur maison et il ne financera plus ses études. Sa mère, elle, ne cesse de vomir, sans pouvoir regarder son fils dans les yeux les jours suivants. Dès lors, il mène deux vies parallèles. À l’université, il traîne principalement avec ses deux amis noirs. C’est un élément qu’il évite de signaler à son père car il ne veut pas donner l’impression d’avoir l’esprit ouvert, ce qui pourrait créer des soupçons vu le conservatisme de ses parents. Il a également très honte du passé esclavagiste de sa famille. De plus, ses amis se moquent de la religion, et de son côté, il boit beaucoup et étudie peu, tandis que de retour chez lui, il essaie de surmonter la situation tendue en se montrant comme un fils exemplaire face à ses parents qui, quant à eux, cherchent à le « soigner du péché ».

On fait tous semblant. C’est juste que certains d’entre nous en sont plus conscients que d’autres.

Un jour, le pasteur de leur église leur conseille le centre de conversion le plus réputé de leur État, « Love In Action ». Après quelques hésitations, ils décident d’y inscrire leur fils, croyant que cela parviendra réellement à le transformer. Il est convenu que Garrard passe deux semaines entières au camp, logeant avec sa mère durant le week-end dans un hôtel pas loin, sous les conditions strictes du centre. Au cas où il résisterait ou ne changerait pas, Garrard serait contraint d’y rester alors plusieurs mois, ou dans le pire des cas, plusieurs années.

Sur place, Garrard ne tarde pas à remarquer l’ambiance malsaine qui règne.. Au fur et à mesure de sa thérapie, qui consiste à découvrir l’origine de son péché sous forme d’humiliations diverses, son humeur décline, il broie du noir. Après presque deux semaines entières passées au centre, il se rend compte que leur méthode ne le changera jamais, et ne réussira qu’à le détruire et qu’à le pousser à haïr ceux qui sont à ses côtés. Ayant tenté de mettre fin à sa vie devant sa mère, celle-ci décide de le retirer immédiatement de cet enfer.

J’avais entamé cette thérapie en pensant que ma sexualité n’importait pas, mais j’avais découvert que toutes les facettes de ma personnalité étaient intimement connectées. En ôtant l’une d’elles, on faisait s’écrouler tout le reste.

Boy Erased est un témoignage émouvant qui laisse son empreinte sur chaque lecteur. L’auteur ne cherche pas à embellir la réalité avec sa plume, c’est au contraire sa franchise et son côté précis qui réussit à plonger le lecteur dans l’histoire. Il jongle avec les mots de sorte à faire ressentir toutes les pensées qui l’ont traversé durant les étapes difficiles de sa vie. En revenant sur son passé, on assiste à la naissance d’un jeune adulte qui cherche à aller au-delà de son mal-être, un mal-être qui se transmet tout au long du roman.

À plusieurs reprises, durant ma lecture, il m’a fallu freiner ma progression afin de prendre du recul, dû à la souffrance éprouvée par Garrard Conley. Étant donné que la partie de sa vie décrite dans le roman se situe au début des années 2000, certains pourraient croire que les centres de conversion font désormais partie du passé. Malheureusement, bien qu’un grand nombre de centres se sont dissous aux États-Unis, tel que Love in Action, il en reste toujours et certains sont parvenus à se propager dans des pays soit avec des bases très religieuses soit très modernes tels qu’en Allemagne ou en Angleterre. C’est sur cette base que Garrard Conley a rédigé Boy Erased , tenant à nous rappeler que la lutte pour l’intégration et l’acceptation de chacun est loin d’être finie.

Même rédacteur·ice :

Boy Erased

de Garrard Conley

Traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Bernet

Autrement, 2019 (2016)

375 pages