critique &
création culturelle

Sans soleil

À la recherche de repères

Après s’être essayée aux courts-métrages, la réalisatrice bruxelloise d’origine turque Banu Akseki délivre Sans Soleil , son premier long. Un film immersif, mélancolique… mais aussi très confus.

Dans un futur apocalyptique, le soleil est devenu nocif pour l’humanité. Un étrange phénomène provoque chez une partie de la population une maladie invisible. Fatigue, acouphène, maux de tête, pleurs… Ces symptômes sont tels qu’ils en amènent certains à la dépression, voire au suicide. D’autres tentent de guérir ce mal en utilisant des gouttes, semblables à des drogues.

C’est dans ce climat que nous suivons Joey (Joe Decroisson) et sa mère (Asia Argento), deux Italiens ayant migré vers la Belgique. Cette dernière, souffrant de ladite maladie, est sujette à de terribles crises qu’elle ne parvient à calmer qu’à l’aide des gouttes. Mais bientôt, cela n’est plus suffisant, si bien qu’elle disparaît sans laisser de trace.

Dix ans plus tard, nous retrouvons Joey (Louka Minnella), qui a été adopté par un couple aisé. L’adolescent va à l’école, poursuit sa vie sans objectif, hanté par l’abandon de sa mère. Un jour, il décide d’aller à la rencontre d’une communauté souterraine et y découvre une femme vêtue de la même veste que sa mère. Attiré par l’idée de retrouver cette figure maternelle, il la suit et s’ouvre à ce monde si différent du sien.

L’actrice italienne Asia Argento joue dans son premier film depuis l’éclatement de l’affaire Weinstein. Méconnaissable dans son rôle, elle y incarne une mère étrange, droguée, aux traits creusés par la souffrance. Même si on la voit peu souvent, elle réussit avec brio à donner une forte présence à son personnage. À ses côtés, nous retrouvons l’actrice belge Sandrine Blancke, qui incarne la figure de la mère fantasmée, chaotique, qui renvoie au personnage d’Asia Argento. Ces femmes ont une telle prestance qu’elles tendent presque à invisibiliser Louka Minnella, l’interprète de Joey, protagoniste qui parle peu et qui a du mal à trouver sa place.

Les premières minutes du film suffisent à donner le ton : l’ambiance sera mélancolique. Les plans sont sombres, et dans un sens, que ce soit voulu ou non, cette absence de luminosité renvoie au titre du film : Sans soleil . L’éclairage dépend également du décor, en fonction d’où Joey se rend. Le monde extérieur, en haut, est éclairé, tandis que le monde souterrain est nocturne et donc voit s'enchaîner des plans obscurs. La musique, elle aussi, contribue à cette atmosphère en y apportant une touche plus angoissante.

Sans Soleil est un film minimaliste et immersif. Nous sommes régulièrement amenés à contempler les images de la nature. Celles-ci sont accompagnées d’un sifflement et durent de deux à trois minutes. Ce procédé est particulièrement présent au début et à la fin du film : d’abord avec l’image d’un soleil, puis avec une vision du crépuscule, où l’on suit des oiseaux qui volent en rond, avant de rentrer dans une grotte. Plus qu’une étape de contemplation, ces plans servent à transmettre une sensation oppressante. On entend les oiseaux babiller de plus en plus fort, si bien que ce son surpasse le bruit de fond naturel. Toujours en mouvement, cette nuée de volatiles s’amasse les uns sur les autres, jusqu’à noircir le ciel. Cette scène renforce le caractère apocalyptique du film, renvoyant aux images de Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock.

Les dialogues n’occupent pas une place centrale dans le long-métrage. Le personnage principal parle très peu, et ce depuis tout petit. On le voit déambuler dans les rues, sans but, si ce n’est celui de retrouver sa mère disparue. À l’école, sa professeure lui reproche son silence. Car tout le monde a un avis à donner sur cette maladie liée aux éruptions solaires : certains y croient, d’autres s’en moquent. Mais lui n’en dit rien, bien qu’il ait été impacté indirectement par ce mal, par le biais de sa mère.

Ces phénomènes naturels ne sont pas sans rappeler le réchauffement climatique, ainsi que les discours qui en découlent. De fait, les moqueries sur les effets nocifs du soleil font écho aux propos  des climatosceptiques. Ainsi, de manière plus ou moins subtile, la réalisatrice belgo-turque fait passer un message. Car même si aucune position n’est proprement avancée par le personnage principal, Banu Akseki nous amène à sympathiser avec ceux qui souffrent, en nous montrant ce mal sous toutes ses facettes, et donc à prendre ce problème bien au sérieux. Parents, adolescents, personnes âgées… Personne n’est épargné.

Mais au-delà des comparaisons et de l’esthétique visuelle réussies, le film laisse une impression d’inachevé. Les personnages ne sont pas vraiment développés, tout comme l’intrigue. La fin nous laisse avec des questions restées sans réponse : entre autres, nous n’apprenons rien sur la disparition de sa mère, sur qui était cette femme fantôme qui lui ressemblait ou comment cette maladie s’attrape réellement. Qu’il s’agisse d’un parti pris de la part de la réalisatrice pour laisser libre cours à l’imagination du spectateur ou d’une envie de délaisser ce qui est moins important pour elle, le rendu final a des allures de brouillon.

Même rédacteur·ice :

 

Sans Soleil

Un film de Banu Akseki

Avec Louka Minnella, Asia Argento, Sandrine Blancke et Astrid Whettnall

Belgique, 2022

102 minutes

Voir aussi...