critique &
création culturelle

Jusant

De la contemplation et des vertiges

Dans Jusant, le studio parisien Don’t Nod (Life is Strange, Vampyr) vous invite à escalader une tour gigantesque parsemée de mystères. À vous d’y découvrir les secrets d’un monde en déshérence, ruiné par une catastrophe écologique.

Tout commence dans la Plaine. Une étendue désertique couverte de sable et de sel jonchée d’épaves rouillées d’un autre temps. Un jeune garçon s’approche, accompagné d’une étrange créature bleutée qui roupille dans son sac. Face à eux, un piton rocheux haut et large de plusieurs kilomètres qui semble sortir de nulle part. Des villages abandonnés et des coraux desséchés y sont suspendus. Ce qu’on comprend rapidement, c’est qu’il va falloir monter toujours plus haut pour saisir ce qu’il s’est passé dans ce monde cryptique. Rien n’est dit, tout est suggéré.

Au cœur du gameplay de Jusant, il y a l’escalade. La gâchette gauche déplace le bras gauche, la gâchette droite correspond au bras droit. Cette maniabilité accessible mais très physique se trouve dans la droite lignée de ce que veulent nous faire ressentir les développeurs : un éreintement progressif au fil de la grimpe. Arrivé en haut d’un mur, c’est toujours avec satisfaction que l’on constate notre avancée en dirigeant la caméra vers notre point de départ, en contrebas.

Les murs et dévers se complexifieront au fil de l’aventure

Malgré cette sobriété dans le gameplay, le level design1 solide parvient à se renouveler suffisamment grâce à des mécaniques qui se complexifient et se cumulent au cours des chapitres. Pour progresser, le joueur est appelé à jongler entre les sauts, la gestion de l’endurance et les pouvoirs de la créature. Pas de barre de vie, d’ennemis, de points de compétences. Le studio s’est focalisé sur le soin apporté aux mécaniques d’escalade et sur la création d’un monde prodigieusement immersif.

Une immersion au sommet

Dans un jeu vidéo solo narratif, l’une des parties sous-estimées de la réalisation est le sound design. Cet aspect, qui doit viser à la fois l’esthétisme, l’immersion et l’utilitaire, est particulièrement bien rendu dans Jusant. Guillaume Ferran y signe une partition subtile mais touchante par sa simplicité élégante. Ses douces notes de piano et de violon se mêlent aux paysages rocailleux du titre. D’ailleurs, je ne peux que vous recommander d’y jouer au casque pour profiter pleinement des musiques ainsi que des bruitages naturels et envoûtants.

Cela dit, ce qui frappe au premier abord, c’est le visuel chatoyant bien qu’épuré. Les tons vifs, les textures quasiment inexistantes et les effets de lumière nuancés accrochent à la rétine. Cette direction artistique aussi assumée que reconnaissable accentue l’ambiance calme et enchanteresse de Jusant. Les animations également bien travaillées dénotent un naturel étonnant, en particulier pendant la varappe. Malgré un grand nombre de positions possibles pour le personnage, la fluidité de ses mouvements semble avoir bénéficié d’un soin particulier.

Les panoramas ne donnent qu’une seule envie : d’être explorés !

Le studio parvient à exploiter convenablement le moteur graphique Unreal Engine, quoique le chargement de certains assets2 en cinématique peut tarder. Notons également quelques baisses de framerate et des bugs de collision à certains endroits. Ça, c’était pour être exhaustif. Techniquement, rien de dramatique n’est à déplorer.

Une narration poétique de haute voltige

Pour comprendre l’univers de Jusant, il faut prendre le temps d’explorer de fond en comble les lieux traversés. Grâce à la narration environnementale poussée, le joueur peut déjà saisir quelques éléments de réponse face à ce monde laconique. Rien qu’en parcourant les décors, on découvre de vieux artéfacts, des fresques archaïques, des habitations délabrées ou villages déserts, comme si les habitants s’en étaient évaporés soudainement. Pourtant, pour approfondir le récit, les développeurs ont pris le parti de passer par l’exploration.

Pour cela, le joueur est appelé à se détourner momentanément de son chemin pour chercher des indices. Parmi eux, des coquillages aux échos du passé qui relatent les ambiances sonores des lieux, des échanges épistolaires ou des journaux intimes. Des procédés très classiques pour un jeu vidéo mais bien exploités dans Jusant. Une autre tactique habile pour développer l’univers est l’idiome employé dans ces fragments d’histoire qui apporte par lui-même des informations sur la civilisation éteinte. Ainsi on apprend que les « ballasts » tant convoités ne sont mentionnés que dans les « contes-à-sommeil » pour enfants.

Sans filiation directe, on peut y voir des inspirations aux Studios Ghibli.

Parmi les thèmes abordés, on peut y déceler l’écologie, la sécheresse, la gestion des ressources ou l’adaptation au changement, généralement peu exploités dans le média jeu vidéo. C’est à saluer car les messages ne visent pas à être moralisateurs. Le joueur constate, il lui reste ensuite à interpréter. Certains pourront trouver la narration lacunaire, toutes les réponses n’étant pas explicites. Cette part laissée à l’imagination se ressent partout dans le jeu, y compris dans sa fin poétique.

Jusant cultive sa singularité par sa direction artistique assumée, son propos et ses prises de risque. Il parvient à transporter sans forcer. Les six heures que j’y ai passé m’ont livré un authentique moment de jeu vidéo solo narratif.

Le travail sur les environnements témoigne du soin dont a fait preuve Don’t Nod.

Jusant

Développeur : Don’t Nod
Réalisateurs : Mathieu Beaudelin et Kevin Poupard, Edouard Caplain, Mathieu Simon, Sofiane Saheb
Compositeur : Guillaume Ferran
Disponible sur : PC, Xbox et PlayStation 5
Sortie : 30 octobre 2023

Voir aussi...