KFDA 2016
Dans (Un)official language , le chorégraphe Panaibra Gabriel Canda évoque les langues comme un outil d’oppression et moyen d’expression.
Une seule langue suffit-elle pour s’exprimer ? Et quand la langue officielle n’est pas celle que tu parles à la maison ou avec tes amis, que se passe-t-il ? Comment créer et vivre dans une langue imposée ? Ou encore, comment danser dans une cage ? Ces questions traversent (Un)official language de Panaibra Gabriel Canda, où interviennent pour aborder la diversité des langages parole, danse et chant.
Canda vient de Maputo, au Mozambique, ancienne colonie portugaise où l’on parle une multitude de dialectes mais où le portugais est toujours la seule langue officielle. Voilà le premier point d’entrée. Mais dans (Un)official language , le thème postcolonial apparaît en filigrane seulement, à travers celui de l’expression d’un langage intérieur, des émotions, des impressions.
Pour Canda, une telle source a besoin de plusieurs mouvements, de plusieurs sons, de plusieurs langages. Elle ne peut se contenter de la langue coloniale, le portugais, ou des symboles utilisés dans la communication simplifiée numérique, la nouvelle « langue officielle universelle » : smiley , pouce en l’air. C’est cela qu’il cherche dans la danse, dans les sons, sur scène : trouver le juste parmi la multitude de possibilités.
Chorégraphe, danseur et metteur en scène du spectacle, il s’y entoure d’une danseuse, d’un musicien, et surtout de la chanteuse de jazz portugaise Maria João, très célèbre dans toute la lusophonie. Portugaise, elle est liée au Mozambique par sa mère ; elle chante en portugais, mais aussi dans une langue aux syllabes indistinctes, qui vient du cœur. Comme elle dit, « la langue de l’amour ». Le spectacle se construit ainsi entre passages parlés, chantés et dansés, aux influences traditionnelles comme contemporaines. Les accessoires jouent également un rôle dans la construction du propos : sur scène, les danseurs jouent avec des boîtes, qui représentent les cases dans lesquelles devrait entrer un langage universel, et servent à construire la nouvelle tour de Babel. Canda se ceint d’une jupe en métal, symbole de la perte de liberté, qui restreint ses mouvements comme la langue universelle limite son expression.
Et pourtant, enserré dans les baleines de son tutu métallique, Canda danse. C’est qu’il danse avec ses langues, avec les dialectes comme avec le portugais colonial, avec son héritage africain et avec ses influences d’Amérique et d’Europe, où il s’est formé à la danse contemporaine en laquelle il a trouvé un langage d’expression. Oui, on peut danser dans une cage et la cage forme à danser. Canda n’oppose ainsi pas l’authentique à l’artificiel, mais l’univoque au pluriel.
Le spectacle, bien rythmé, doit une partie de son énergie à la fantasque Maria João et l’autre à la sincérité de Canda. Si le traitement du (passionnant) thème peut paraître trop explicite ou un brin naïf, il conserve toujours une part de complexité. Le spectacle m’a précisément touchée par sa générosité : une main est toujours tendue au spectateur qui cherche à saisir le propos, à entrer dans le jeu.