Dans ce ballet africain contemporain, le chorégraphe burkinabé Serge Aimé Coulibaly s’inspire d’une bataille fondatrice du Mali, celle de Kirina, narrée par les conteurs et traduite corporellement sur la scène du National. Neuf danseurs, quarante figurants, parolier, musiciens, et la voix sublime de Rokia Traoré sont rassemblés dans cette danse aux confluents des rites ancestraux et des tragédies grecques.
Mouvement, corps, pensées. Trois mots qui résonnent à travers chaque tableau, articulation et impro des danseurs, Tantôt fougueux, tantôt docile, mais toujours libre de livrer une grimace, une douleur, une souffrance. Pensées, corps, mouvements. Encore, ces trois mots nous lient vers les autres. Les mains se jettent vers le ciel technique, pendant que le coup se tord en quatre, les pieds eux suivent comme ils peuvent, sous la voix tragique de Rokia Traoré et nous emmène au cœur de nos réflexions sur le corps, au cœur de nos souvenirs.
Les gestes se dérobent pour donner à voir une fresque vivante de corps, symbolique de la migration mais aussi possibilité pour Coulibaly de rendre hommage à l’histoire de l’Afrique et sa culture, de rendre hommage à Lumumba, et aux intellectuels contemporains en intégrant un héritage et des traditions particulières spécifiques à la diversité des peuples africains. Il y a donc dans les marches des danseurs, dans leurs grimaces, dans la vitesse à laquelle chaque pas s’exécute, une pensée qui converge vers la réalité de ce qu’est d’être un chorégraphe et danseur africain. Tableau après tableau, le déroulement de cette épopée révèle et déploie la marche de l’Afrique sur son avenir au cœur de l’histoire et de la fiction théâtrale.
Grâce à son érudition sauvage, du fait qu’il puise à la fois dans son histoire, sa culture, mais aussi dans son ouverture au monde, le chorégraphe parvient à enrichir considérablement le langage corporel de la danse contemporaine et les émotions transmises par le corps dansant, tout en portant un regard politique. Tous les tableaux ont une symbolique qui tisse des liens entre des événements passés et contemporains : lynchage ethnique et harcèlement, haine de l’autre et persécutions diverses. L’histoire est ré-écrite par le prisme de l’Afrique, mais qui regarde la violence se perpétrer en dehors de ses frontières.
Les différentes chorégraphies s’appuient sur une violence intérieure omniprésente qui parfois tombe en sanglot et témoigne de la fragilité de résister. Les chants bercent les marches de Coulibaly vers l’équilibre entre les confrontations, la fierté et l’espoir. Corps, mouvements et pensées africaines.