Publié chez Onlit Éditions en février 2019, La Femme qui chante de Jacques Richard nous bouleverse par ses tableaux emplis de poésie. À travers une forme atypique, le lecteur découvre Solange, tantôt confrontée à la mort, tantôt soumise au regard des autres.
La Femme qui chante raconte l’histoire de Solange, femme définie par les hommes de sa vie. En se servant tant du médium de la littérature que celui de la peinture ou du théâtre, Jacques Richard nous livre un roman constitué de tableaux juxtaposés qui nous perdent mais nous donnent aussi l’envie d’en savoir plus sur le personnage.
« Papa… Papa, reviens… Ne sois pas parti… » Enfant, Solange est au pensionnat. Elle est une fille mais aussi une sœur. Le je qui la décrit semble d’ailleurs être son frère avec qui elle a une relation qu’elle sait douteuse mais dont elle n’est pas honteuse : l’inceste. En lisant leur histoire, on ne peut qu’hésiter pour finalement se rendre à l’évidence. Son frère, Solange l’aime et il la suit tout le long du roman. On trouve dans le rôle de ce frère une première interrogation quant à son identité de fille. Solange déplore de ne pas encore ressembler à une femme mais en même temps, elle voudrait être comme son frère.
Si elle pouvait être comme lui, être son frère. S’ils pouvaient être le frère et la fille à tour de rôle, ou le frère et la sœur en même temps.
Plus tard, Solange devient mère. À nouveau, son rôle se définit par rapport à son fils. Lorsqu’il meurt, sa fonction de mère meurt avec lui. Elle est alors compagne, amoureuse. Cependant, sa relation avec son frère la poursuit, l’homme avec qui elle est alors est dégoûté par cette histoire qu’il rend sale. On voudrait réagir mais on ne peut pas. Nous aussi, on écoute le discours de Solange qui se défend : « Pour qui te prends-tu ? Pour mon père ? Parce que tu es un homme ? L’homme de la famille ! Mon père tu ne seras jamais seulement son ombre pour moi. » En même temps que cet homme, c’est nous qui sommes interrogés quant à notre façon de considérer les relations.
Bien qu’il ne contienne pas d’action qui rythme le récit mais davantage un ensemble de tableaux dont chaque titre souligne le contenu, Jacques Ricard dote son texte d’une énorme richesse. Le changement de narration, parfois externe, parfois assumée par le frère, empêche de s’ennuyer. Ce je utilisé par le frère est d’ailleurs très énigmatique car il ne prend pas directement part aux scènes dialoguées. Solange semble parler toute seule mais ses répliques sont travaillées de sorte qu’on puisse nous-mêmes imaginer les réponses. Tout le roman est ainsi concentré sur la personne de Solange et très peu sur les autres. Cependant, certains passages de La Femme qui chante sont empruntés à l’écriture théâtrale. À nouveau, l’attention du lecteur est sollicitée : on passe d’une prose poétique à des répliques entrecoupées de didascalies. Mais là n’est pas le seul endroit où Jacques Richard joue avec nous à travers ces changements de formes d’écriture : pratiquement une page du livre est tout à fait dépourvue de ponctuation !
D’un autre point de vue, malgré l’absence d’intrigue qui par conséquent met en évidence l’essence même du personnage de Solange, on est sans cesse entraîné dans la lecture par la poésie de Richard. Les différents tableaux qui racontent Solange sont disposés à la façon d’un patchwork : singulièrement, ils ont leur propre identité qui ne paraît pas rattachée au reste, mais une fois assemblés, les morceaux font sens. En tant que lecteur, on doit chercher une cohérence au roman, il s’agit d’un vrai travail mais dans lequel on peut trouver du plaisir. En ce sens, La Femme qui chante n’est pas le récit que l’on va choisir pour se distraire passivement.
La Femme qui chante nous est présenté par la quatrième de couverture comme un roman féministe. Au-delà de l’identité de Solange en tant que femme, les hommes sont souvent accusés au sein de l’histoire. Ils abandonnent leurs filles, disent aux femmes ce qu’elles doivent faire, se croient supérieurs : « Cette lâcheté. Parti le père, parti le frère… Quant au mari, n’en parlons pas ! Les hommes, c’est si lâche. » En tant que femme, on est mise en garde par le biais du personnage de Solange.
Vos fils, vos frères, vos pères. Vos hommes. Vos hommes attendus, rêvés. Vos hommes enfin à vous. Tout entiers pour toujours. Mais toi ? Qui te rêve, Solange ? Tu es rêve, toi aussi. Rêve de toi-même. Et celui qui te rêve ? De quoi est-il le rêve ?