Entre fêtes effrénées et moments de contemplation, La Grande Bellezza est un film sur la mortalité, les rêves délaissés et les délices furtifs.
Dès les premières minutes du film, nous sommes invités à une folle soirée bondée, sur un rooftop select de Rome, où les limites semblent bannies, et l’amusement à outrance la norme. Le rythme des maracas, la proximité des corps, les danses lascives, l’alcool qui coule à flots, les masques, costumes et corps dénudés, et les propositions charnelles s’en suivant ; soirée où se côtoie la gent mondaine de Rome. Le ton est donné. Mis à l’honneur pour son 65e anniversaire, Jep Gambardella, qui se définit lui-même comme « le roi des mondains », émerge de la foule. Dans un gros plan au ralenti où Jep regarde fixement la caméra, l’air triste, il révèle son désir le plus profond : être écrivain.
Il se décrit comme un être destiné à la sensibilité, ce que le film illustre par ailleurs : cette première scène de fête est encadrée par deux scènes d’une austérité et d’un calme réflexif marquant, ponctuées de chants d’opéra et de la présence de religieuses vaquant à leurs occupations. La suite du film est à l’image de cette introduction : les moments de contemplation accompagnés de musiques baroques contrastent avec les moments de fête et les soirées entre intellectuels. La caméra semble décidée à nous dévoiler la Rome secrète, invisible aux yeux communs : palaces privés richissimes, soirées folles, moments de plaisirs, réunions de mondains désabusés.
De manière ironique, plusieurs scènes montrent des représentants de l’Église. On pourrait croire à un rappel à des pratiques plus vertueuses, si ce n’est que même ces personnages sont pris en train de pécher. Nous voilà embarqués dans maintes ambiances différentes, chacune avec son rythme et sa saveur particulière. Chaque scène est scrutée sous tous ses angles et dans ses moindres détails, ce qui accentue encore l’effet globalement tape-à-l’oeil du film. Le spectateur se voit embarqué par Jep dans sa recherche de cet idéal de « grande beauté », qui, à peine effleuré, semble lui échapper. La beauté ostentatoire des décors romains contraste avec les moments bas et décadents, et ce tourbillon de sensations s’amuse de Jep et l’éloigne de son but au moment où un détail semblait l’en rapprocher.
Tandis que le spectateur s’ébahit ou se consterne à tour de rôle au vu des richesses et folies exposées, c’est plutôt un regard graduellement lassé que Jep vient à poser sur ces soirées. Nous voilà plongés dans l’introspection du journaliste vieillissant, hanté par l’idée de n’avoir jamais pu écrire un second livre, chose qu’il attribue à l’excès de fêtes romaines durant les dernières décennies de sa vie. La mélancolie s’installe, les morts et les adieux ponctuent les scènes, avant qu’il n’en vienne à réaliser que toutes ces fêtes sont synonymes de néant et de dépérissement.
Les joies, les fêtes, l’amour, le sexe, l’art, la tristesse : tout cela est compris sous cette éloquente « grande beauté » ; le temps passe, les corps se fanent et les goûts qu’on pensait intemporels se dissipent, tout cela au sein de l’immortelle et toujours renaissante Rome. C’est ainsi que le film dresse une ode à la décadence romaine, et relance la quête de cette « grande beauté » que Jep n’a pas su trouver.