La Pologne de ses rêves
Alors que le communisme bat son plein en Europe de l’Est, Pawel Pawlikowski naît en 1957 à Varsovie d’un père médecin juif et d’une mère professeur d’anglais à l’université. Témoin de la séparation de ses parents, Pawel voit son père fuir la Pologne pour Vienne. Deux ans plus tard, alors qu’il a quatorze ans, c’est au tour de sa mère de quitter le pays. Il la suit en Angleterre.
Alors que le communisme bat son plein en Europe de l’Est, Pawel Pawlikowski naît en 1957 à Varsovie d’un père médecin juif et d’une mère professeur d’anglais à l’université. Témoin de la séparation de ses parents, Pawel voit son père fuir la Pologne pour Vienne. Deux ans plus tard, alors qu’il a quatorze ans, c’est au tour de sa mère de quitter le pays. Il la suit en Angleterre.
On le retrouve quelques années plus tard étudiant la philosophie et la littérature à Londres et Oxford. Il entame même une thèse de doctorat sur le poète autrichien Georg Trakl (une façon de se rapprocher de son père ?). Mais c’est à l’occasion d’ateliers de cinéma qu’il trouve vraiment sa voie et finit par être engagé au service documentaire de la BBC. Il réalise plusieurs documentaires, portant sur l’Europe de l’Est, dont notamment From Moscow to Pietushki (1990), Serbian Epics (1992), couronné de deux grands prix (le Festival du film documentaire de Marseille et le Festival dei Popoli de Florence), et Tripping with Zhirinovsky (1995) récompensé par le Grierson Award du Best British Documentary et par le Golden Gate Award au Film Festival de San Francisco.
Regardez Tripping with Zhirinovski
En 2000, il scénarise et réalise un premier film de fiction intitulé Last Resort (en français, Transit Palace ), plusieurs fois récompensé en tant que meilleur film (Edimbourg, Thessalonique, Gijon, Motovun). L’Europe de l’Est reste au centre de ses préoccupations, puisque le film met en scène une jeune mère quittant Moscou avec son fils pour retrouver son fiancé en Angleterre et qui finit par demander l’asile politique. Le cadre général du film n’est pas sans rappeler l’exil de Pawel Pawlikowski, mais le jeu des comparaisons s’arrête probablement là.
Réalisé après My Summer of Love (2004) et la Femme du Vème (2011), Ida est le quatrième film de fiction de Pawel Pawlikowski. Il est cependant le premier à être tourné en polonais, comme un moyen pour l’artiste de traiter au mieux le sujet. On le sait, certains problèmes ne peuvent se dire que dans la langue à laquelle ils sont attachés. C’est le cas, notamment, des rapports conflictuels entre le communisme et le catholicisme propres à la Pologne qu’Ida met en scène.
Pologne, 1962. La neige tombe dru sur le couvent où Anna (Agata Trzebuchowska), jeune novice orpheline, est sur le point de prononcer ses vœux. Mais la Mère supérieure sait qu’elle n’est pas encore tout à fait prête : il lui faut affronter une dernière épreuve. Elle demande à la jeune femme de se rendre à Varsovie afin de rencontrer sa tante, Wanda (Agata Kulesza), la seule famille qui lui reste et qu’elle n’a encore jamais vue. La visite s’avère désagréable. La tante est amère ; elle se moque : une nonne juive ! Parce qu’Anna s’appelle en fait Ida, Ida Lebenstein, et qu’elle est le portrait craché de sa sœur, morte pendant la guerre. La voir porter le voile insupporte Wanda, d’autant plus que, surnommée Wanda-la-Rouge (mais est-ce le rouge du communisme ou le rouge du sang ?), elle est procureur au service du Parti. Alors qu’Anna-Ida s’apprête à rentrer au couvent, Wanda la rattrape. Elle veut l’aider à trouver où ses parents sont enterrés. Elle-même semble désirer le savoir depuis longtemps, tout en ayant peur de ce qu’elle découvrira. Elle ne peut s’empêcher d’admirer la détermination de la jeune fille, dont on ne sait s’il faut l’attribuer à la sagesse ou la naïveté.
Et si tu te rendais compte, en chemin, que Dieu n’existe pas ?
C’est que le périple d’Ida commence à peine. Ce n’est pas tant à la rencontre de sa tante que la Mère supérieure l’envoyait, mais à la rencontre, bien plus difficile, d’elle-même et de son histoire. Le parcours d’Ida tient d’une métamorphose, mais d’une métamorphose en ceci particulière que c’est en elle-même qu’Ida se transforme. Le titre du film, si sobre, convient parfaitement.
Si la quête s’avère douloureuse pour la tante, Ida tient bon. Elle traverse, sereine et pleine d’une force tranquille, ce monde qu’elle découvre et toutes ces premières fois auxquelles elle goûte. Pour se (re)trouver et reconquérir son identité, il lui faudra pourtant creuser l’histoire, son histoire, comme on creuse la terre, et déterrer ce qu’il y a à déterrer. Ida sait ce qu’elle a à faire et elle le fait.
Dans cette Pologne communiste d’après-guerre, où tout le monde a un lourd passé, Ida incarne à elle seule toute l’histoire et les contradictions de ce pays. Ou plutôt, elle incarne le dépassement de ce que la Pologne érige en contradiction : la possibilité d’être à la fois Polonaise et juive. Mais le film ne prétend pas expliquer quoi que ce soit. Pawel Pawlikowski dit en effet, lors d’un entretien pour Télérama :
Si j’avais voulu expliquer les rapports des Polonais avec les juifs, il m’aurait fallu écrire un énorme livre. Les personnages de mon film sont contradictoires, délicats, ils ne sont pas là pour illustrer un discours.
La puissance du propos est admirablement mise en image par le directeur photo Lukasz Zal. Tandis que la caméra fixe et le noir et blanc rappellent les films muets (d’ailleurs, comment le silence pourrait-il ne pas être signifiant alors qu’Ida s’apprête à prononcer ses vœux ?), du format carré du cadre et du cadrage se dégage une indéniable poésie. Il y a quelque chose, dans Ida , du réalisme poétique en vogue en France dans les années 1930-1940 : la puissance des dialogues qui, loin d’entrer en contradiction avec le silence, n’en ressortent que davantage, l’environnement populaire et, bien entendu, la poésie dans le réel (comme ce vitrail réalisé par la mère d’Ida pour l’étable).
L’espace entre les personnages et le bord supérieur du cadre est un procédé puissant. Si Pawel Pawlikowski refuse d’intellectualiser sa démarche, elle nous semble cependant revêtir un sens important : loin d’écraser Ida, l’espace qui se déploie au-dessus d’elle semble être le lieu de sa rencontre avec le divin.
Pour cette raison, le procédé est emblématique du film. Si le sujet est loin d’être drôle, il est traité d’une façon telle qu’il évite toute lourdeur. Paradoxalement, ce n’est pas de mort qu’il est d’abord question mais de vie : quelque chose de résolument optimiste se dégage d’ Ida , qui met en scène un véritable commencement . À la fin du film, c’est très décidée que la jeune femme marche vers son destin, d’autant plus décidée qu’elle agit alors en toute connaissance de cause.
Pawel Pawlikowski confiait le 11 février à Télérama , à l’occasion d’une session de « photos commentées » issues de son film :
On me dit parfois que je suis un cinéaste intello, mais je suis, bien davantage, un sensualiste. J’ai besoin d’aimer physiquement les images que je fais, les sons, les lumières. Je veux avoir le sentiment d’être avec les personnages dans l’espace que je crée. Je veux être dans la Pologne de 1962. Ida, je peux la toucher.
On le croit sans peine (j’en frissonne encore) et l’admirable jeu des acteurs vient amplement le confirmer. Non seulement celui de la jeune Agata Trzebuchowska, d’une justesse à couper le souffle dans ce rôle difficile, mais aussi celui d’Agata Kulesza, actrice confirmée qui incarne brillamment le rôle ambigu de Wanda, librement inspiré de la vie de Helena Wolinska-Brus. Cette Polonaise juive née en 1919 qui devint, après la guerre, juge et procureur du Parti communiste fut accusée par la Commission d’enquête sur les crimes contre la nation polonaise d’avoir procédé à des arrestations illégales, notamment celle d’Emil August Fieldorf, général polonais et héros de la Résistance, qui refusa de collaborer avec le régime communiste et fut exécuté en 1953. Elle mourut en 2008 avant que la Pologne ait réussi à obtenir son extradition.
Avec
Ida
, Pawel Pawlikowski a fait le pari difficile de s’attaquer enfin au sujet autour duquel il n’a cessé de tourner. Et il a bien eu raison.
Ida
est son premier chef-d’œuvre et un très grand film.
https://www.youtube.com/watch?v=evLdLM8JN24