Le Challat de Tunis
Le Challat de Tunis , premier long métrage de Kaouther Ben Hania, est une magnifique réussite mêlant fiction et documentaire. Des moments hilarants et émouvants s’y succèdent pour donner une œuvre captivante. La cinéaste était présente à l’avant-première liégeoise de son film au cinéma Sauvenière.
Nous sommes au début des années 2010 à Tunis. Cela fait dix ans que le challat , le balafreur de fessiers féminins, ne fait plus parler de lui. Mais était-ce une légende urbaine ou la réalité ? Quelle est la part de vérité dans cette histoire ? Kaouther Ben Hania, alors étudiante en cinéma, va se lancer à la recherche de ce délinquant ayant fait onze victimes. Mais tout ne se passe pas comme prévu… Comme nous le montrent les cinq premières minutes du film, déjà prenantes et hilarantes.
Primé à de nombreuses reprises, notamment au Festival international du film francophone de Namur, le Challat de Tunis ressortit au genre du « documenteur ». À l’instar du faux documentaire Zelig de Woody Allen, l’objectif de la réalisatrice est de moquer le documentaire, d’investigation dans ce cas. Exagération, mélange de mensonges et de vérités : ces quelques ingrédients de la recette de Kaouther nous donnent un docu-fiction captivant pouvant nourrir un débat sur les droits des femmes, en Tunisie comme ailleurs.
« Nous, les Tunisiens, on est les rois de la rumeur. » Il faut dire qu’avec des répliques telles que celle-ci et tant d’autres dans le même registre, le film prend à cœur de mettre en boîte la société tunisienne, en s’attaquant également aux injustices que subissent parfois des accusés déjà jugés coupables. Une façon décalée d’évoquer sérieusement des préjugés. Le choix des acteurs n’est pas anodin non plus : mélange de comédiens amateurs et de personnages réels tels que les victimes. Où finit le réel ? Où commence la fiction ? La frontière est si ténue qu’elle a demandé un décryptage ultérieur de la part de la réalisatrice : une rencontre avec celle-ci, lors de l’avant-première liégeoise du film au cinéma Sauvenière, a pu éclairer les spectateurs les plus sceptiques. Kaouther a ainsi expliqué comment elle avait mêlé fiction et réalité pour arriver au film que l’on connaît. Toute une ambition cinématographique payée de résultat, car on y croit !
À noter le jeu des acteurs qui nous feraient presque croire à la réalité de leurs personnages. Tant Jallel Dridi, héros du film, que Moufida Dridi, sa mère, sont bluffants et représentatifs de la prouesse de tous dans ce docufiction. En effet, les acteurs ne sont pas tous comédiens de formation, les professionnels se mêlent aux dilettantes. Fait marquant : des rires se font entendre dans la salle lors des interviews pendant le film, où quelques mots de français et d’argot ressortent parmi le flux en langue arabe… Comme un touchant rappel de notre multiculturalité commune.
Malgré sa critique de la société tunisienne, Kaouther n’a jamais craint pour sa vie dans un pays en pleine transition démocratique depuis le Printemps arabe. Son film a d’ailleurs été très bien reçu lors de sa sortie. Pour preuve, l’Association des femmes démocrates, association féministe tunisienne, a décidé de projeter le docufiction lors de son université d’été.
Le Challat de Tunis est un film hors du commun où les touchants moments de confessions se mêlent à la comédie de certains actes et de plusieurs scènes décalées. « Une comédie noire où l’on rit jaune », comme le résume si bien la réalisatrice elle-même. Cette soirée fut un bon moment de partage grâce aussi à la présence de Thomas Mathieu, auteur du livre les Crocodiles , qui recense des témoignages de femmes victimes de harcèlement et de sexisme ordinaire. Une réelle complémentarité des supports pour parler d’un sujet si souvent banalisé mais pourtant tellement présent en 2015.