Le faux documentaire (4)
En réponse à une série de défis tant internes qu’externes, le film documentaire s’est aujourd’hui considérablement transformé. Quant au public, son rapport à l’information a changé, et est devenu plus critique, plus proactif.
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Le monde est hyperconnecté. On échange, on s’informe et on fabrique du contenu en quelques clics. Les enjeux soulevés par la démarche du faux documentaire semblent capitaux à l’heure de la mise en scène de l’information, de médias omniprésents et de la manipulation de masse.
Dans un premier temps, nous nous sommes employés à faire du faux documentaire un outil éducatif. Il viserait à permettre au spectateur de s’émanciper et d’inviter à la réflexivité vis-à-vis de la mise en forme de l’information, sur laquelle une possible pensée critique viendrait à se greffer. Nous avons également pu constater que des cinéastes ont exploité le potentiel du faux documentaire en sens inverse, en nous immergeant dans la fiction à grands coups d’effets de réel. De lucide à crédule, il n’y a qu’un pas à franchir.
Quand le journal télévisé de la chaîne publique RTBF annonce la séparation de la Belgique en 2006, le monde s’enflamme, réveillant les sentiments patriotiques des citoyens et les angoisses des investisseurs de l’étranger. Pourtant, le bandeau de titrage «Ceci est une fiction» ne se substitua en aucun cas au regard du spectateur, ainsi que les invraisemblances techniques et les insertions d’informations (fausses) qui oscillèrent entre le burlesque et le carrément surréaliste. Il n’en reste pas moins que le programme (renommé depuis Bye Bye Belgium ) suscita un malaise tangible : en témoignent les plaintes déposées au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), au nombre significatif de trente-huit. Face aux griefs retenus contre elle, la RTBF publiera un communiqué indiquant qu’elle « n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher la confusion dans le chef d’une partie de ses téléspectateurs1 ».
Pourtant, nous sommes loin d’un rapport aux médias tel que celui d’octobre 1938, lorsque Orson Welles terrifiait soi-disant ses auditeurs avec son adaptation radiophonique de la Guerre des mondes de H. G. Wells. Des représentants de la chaîne néo-zélandaise TVZN se sont vus priés de préciser la nature fictionnelle de Forgotten Silver et, par la même occasion, de formuler leurs plus plates excuses aux téléspectateurs probablement meurtris par leur excès de crédulité.
L’exemple de Cannibal Holocaust est encore plus marquant. La justice italienne fut en effet obligée de convoquer le cinéaste en audition, allant en toute crédulité jusqu’à le sommer de présenter les artifices et trucages d’effets spéciaux de certaines scènes particulièrement ambiguës (et horriblement violentes dans leur contenu) pour prouver leur caractère fictionnel. Et il arrive encore de voir des images et des extraits du canular d’ Opération Lune dans des discours qui soutiennent la thèse du complot quant aux premiers pas de l’homme sur la Lune en 1969 !
Le faux documentaire est un geste, une pratique créative. Le définir strictement en tant que genre n’est pas une chose facile, c’est aussi ce qui fait sa richesse. Pour notre part, nous dirons qu’il y a faux documentaire quand il y a une intention de la part des cinéastes de manipuler volontairement les codes cinématographiques associés au réel, comme nous l’avons vu au long de ce cycle.
Derniers conseils, allez voir des films ! Il reste énormément de choses intéressantes à voir, et dans tous les formats. Les excellentes séries The Office ainsi que Parks and Recreation sont de petites perles satiriques. Plus récents, State of Bacon vous emmènera au plus grand festival américain dédié au bacon, et What We Do in the Shadows , dans le quotidien intime de vampires néo-zélandais. Avec la prolifique production de sites de désinformation comme le Gorafi en France, et plus récemment Nordpresse en Belgique, le processus satirique est poussé dans une direction intéressante, et surtout amusante.
Discours contemporain invitant sous toutes ses formes à une réflexion collective, il nous apparaît que le faux documentaire est bel et bien capable du meilleur comme du pire. Même quand il se montrera capable du pire, il persistera à nous dire quelque chose sur notre manière de voir.
Bibliographie sélective
– DEBORD Guy, La société du spectacle, Gallimard, Paris, 1992
– GANY Dominique, Nouveaux médias : mode d’emploi, Cci SA, Liège, 2009
– GAUTHIER Guy, Le documentaire, un autre cinéma, Nathan, Paris 1995
– NICHOLS Bill, Representing reality: issues in the concept of documentary, Indiana University press, 1991
– NINEY François, L’épreuve du réel à l’écran, De Boeck, Bruxelles, 2000
– RANCIÈRE Jacques, Le spectateur émancipé, La fabrique, Paris, 2008
– ROSCOE Jane, HIGHT Craig, Faking it: Mock-documentary and the subversion of factuality. Manchester University Press, 2002
– BRUZZI Stella, New Documentary, Routlegde, New York, 2006