critique &
création culturelle

Le Mal du Hérisson

Quand la solitude rencontre la beauté du lien

© Greta Koetz

Le collectif Greta Koetz revient en 2024 avec une nouvelle création théâtrale, Le mal du hérisson. Elle ouvre une réflexion sur le vivre-ensemble dans un contexte où la solitude et l’isolement prédominent. Au rythme des jeux de lumières et de sons avec des touches de mélancolie, de tendresse et une grande liberté, nous entrons dans leur monde, presque magique…

Le mal du hérisson est la troisième œuvre du collectif d'artistes Greta Koetz. Elle nous présente huit personnages, atteint·es d'une maladie incurable. Nous sommes à la fin des années 1930, dans une grande maison de campagne devenue lieu de soins. Leur histoire démarre autour de l’organisation d’une fête de retour de l’un d’entre eux ‒ Paul ‒ à la suite d’une opération de la dernière chance. Les artistes ont élaboré cette pièce de théâtre en s’appuyant sur la parabole du philosophe allemand Arthur Schopenhauer, le dilemme du hérisson1. Deux hérissons chercheront à se réchauffer en se rapprochant mais doivent maintenir une distance suffisante pour ne pas se piquer mutuellement. Ce dilemme incarne les difficultés relationnelles qu’engendrent les interactions humaines, leurs implications parfois complexes et ce qu'elles peuvent dire de nous au sein de cette société. Le mal du hérisson s’en inspire pour raconter la marge, raconter, de manière colorée, l’histoire des huit personnages de cette pièce.

Nous allons à la rencontre de ces huit malades, vivant dans un lieu de soins, sous la coupe de Simone et du Docteur Craquelin. Cette maladie, nous n’en saurons pas l’origine, seulement qu’elle tue celleux qui en sont atteint·es. La pièce se lance sur la demande en mariage ‒ ratée ‒ de Firmin, visiblement déjà bien amoché par la maladie. C’est ainsi que nous allons à la découverte de chaque personnage, toustes développant un arc de ce récit, avec une pointe de magie, en nous interpellant parfois directement, afin de nous permettre d’entrer un peu mieux dans leur monde. La pièce explore ainsi la solitude, la vulnérabilité dans le lien à l’Autre et la quête constante d'identité à travers des personnages attachants, des dialogues parfois incisifs.

© Annah Schaeffer

La question de la mort est sous-jacente tout au long de ce récit. C’est notamment au travers de Paul, joué avec talent par Sami Dubot, et de la relation que chaque personnage à avec lui que nous comprenons comment iels avancent dans leur acceptation de cette fin inéluctable. À la cadence de sa musique et de ses entrées de champs, chacun.e s’empare d’une joie mélancolique qui leur donne parfois l’énergie d’avancée mais peut aussi les décourager.

C’est avec une grande sensibilité, mêlant humour et mélancolie, que l'écriture arrive avec brio à nous renvoyer la lumière de ces hero·ïnes bizarres et barré·es malgré l'atmosphère pesante qui règne dans cette maison. Les personnages, chacun·e avec leur histoire unique, reflètent les tensions et les complexités des relations humaines, mettant en avant leur besoin de connexion dans un monde souvent perçu comme hostile.

© Annah Schaeffer

Enfin, la mise en scène est inventive, jouant avec l'espace et les lumières pour renforcer les émotions des personnages. Nous naviguons dans leur monde, en en faisant un peu partie. Ainsi, il est facile d’imaginer cette maison un peu branlante mais spacieuse, ce dehors, plus rude et souvent pluvieux. De manière analogue au hérisson tentant de trouver l’équilibre parfait dans son lien à l’autre, le rythme de la pièce maintient l’attention du spectateur, alternant entre moments de tension palpable et instants de réflexion introspective. Cette création originale est portée sur scène par des acteur·ices qui délivrent une performance juste, intense et sensible.

Iels nous emmènent dans leur quotidien chaotique, dansant et parfois triste. Sous une pluie battante, autour d’un bolo raté ou au rythme des coups de feu, nous sommes emmené·es dans le valse incessante qu’est cette réalisation théâtrale. Cependant, certain·es spectateur·ices pourraient trouver que le ton, parfois trop abstrait, laisse place à une interprétation ouverte qui peut déstabiliser, nous faire rire tout en nous faisant grincer des dents. C’est précisément ici que Le mal du hérisson cherche sûrement à nous amener vers cette ambiguïté qui incite à la réflexion et à une immersion plus profonde au sein de notre propre solitude et de nos relations aux autres.

Le mal du hérisson

Collectif Greta Koetz

Mise en scène et écriture de Thomas Dubot

Jeu et écriture de Marie Alié, Marie Bourin, Antoine Cogniaux, Antoine Herbulot, Alice Laruelle, Nicolas Payet, Léa Romagny, Sami Dubot

2024, 1h40

Vu au Théâtre des Tanneurs à Bruxelles 

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