Le roman
Un soldat SS croise une fillette juive sur les chemins glacés des Ardennes en hiver 44, et ne la tue pas. Dans son premier roman, Today We Live, Emmanuelle Pirotte brouille les pistes pour raconter l’histoire d’une rencontre aussi improbable qu’évidente.
Renée, fillette juive ballotée de familles d’accueil en foyers depuis le début de la guerre, est confiée à deux soldats américains par le curé du village alors que les Allemands approchent. Mais ces soldats n’ont d’américains que leurs uniformes. Ce sont en réalité des SS, agents d’une opération secrète d’infiltration des armées alliées. Mathias est l’un d’eux. Alors qu’il s’apprête à exécuter Renée, il détourne son arme et abat son collègue. Que faire alors de la fillette, au milieu de ces Ardennes belges gelées et épuisées par quatre années de guerre ?
L’intrigue, mise en place dès les premières pages du livre (le présent article ne contient aucun spoiler …), a des airs de pitch. Mais derrière l’efficacité dramatique de l’auteure qui est aussi scénariste, se déroule un récit tout en nuances , qui nous porte par l’empathie autant que par le suspense.
Rien, évidemment, ne prédestinait Mathias et Renée à s’entendre. Il est Allemand, elle est juive ; il est soldat, elle est enfant. Pourtant l’un et l’autre se reconnaissent. Emmanuelle Pirotte ne nous entraîne pas dans une histoire de rédemption d’un nazi par le sauvetage d’une juive. Ce qui se joue entre eux paraît éloigné des questions de guerre. Leur rencontre semble s’extraire de cet hiver 44 et les extraire, eux, de leurs identités contraires. Ce qui les lie ne porte pas de nom et ils usent entre eux de peu de mots. C’est le regard qu’a porté Renée sur Mathias au moment où il s’apprêtait à tirer qui a scellé leur rencontre. Ce sont les jours suivants qu’ils ont partagés, planqués dans une cabane, presque en silence, qui les ont liés.
La guerre pourtant est bien là. L’essentiel du livre se déroule dans les caves d’une ferme où cohabitent des civils et des soldats de passage, de chaque camp. Au milieu d’eux, Renée et Mathias s’observent et guettent le moment de la fuite. Quelle fuite ? Où donc iraient un soldat SS et une fillette juive en cet hiver 44 ? Ils ne font jamais de plan, comme s’ils partageaient l’évidence d’un lieu de paix pour deux.
Emmanuelle Pirotte nous fait entendre les déflagrations de la bataille des Ardennes, dans la terreur de ces derniers mois de guerre. Ancré dans l’Histoire, son livre raconte surtout le mystère d’une amitié, comment deux personnes en dépit de tout se savent un peu semblables. De sa plume efficace et sensible, l’auteure ne tombe jamais dans la caricature. Elle ose au contraire, en racontant l’humain derrière les rôles, faire apparaître les zones grises des êtres en temps de guerre.