L’Enfant sauvage
D’une conception impeccable, tant dans l'écriture que dans la scénographie, l’Enfant sauvage de Céline Delbecq, interprété par Thierry Hellin, aboutit néanmoins à une sortie de scène dispensable.
Il fait très froid en ce mardi de janvier à l’Atelier 210, un froid mordant qui s’insinue un peu partout. Mais si le hasard de la météo me fait grelotter, c’est pour mieux laisser place à une autre forme de chaleur.
Je suis venue assister à la première de l’Enfant sauvage, dernière pièce de la Compagnie de la Bête noire. Et la bête noire, ce soir, c’est une enfant. Sale, violente, déjà ravagée par sa courte vie, retrouvée sur la place du Jeu de balle par « un brave homme ». Mais si, bien sûr, vous le connaissez ce « brave homme ». On en connaît tous. Un type aux abords un peu rustres, à l’air pas bien malin et la colère à fleur de peau mais qui, si l’on s’obstine et gratte un peu, déborde d’un amour sur lequel il ne sait pas mettre de mots.
C’est cette mise en mots qui m’a séduite, j’ai presque envie de dire « dès les premières mesures », tant le rythme saccadé pèse sur mon corps. Notre homme « voit rouge » dès qu’il comprend que personne ne va s’occuper de cette petite, il décide de la prendre sous son aile. C’est ce parcours fait de procédures et de contrôles qu’il va nous raconter. Chaque mot envoyé frappe le spectateur. Forte de ses années de bénévolat dans des institutions d’enfants placés par le juge, Céline Delbecq a écrit ce long monologue à partir d’une réalité qu’elle connaît bien. Son écriture traduit l’emprisonnement dans les procédures et la précarité, qu’elle soit matérielle ou affective, dans laquelle sont plongés « les enfants du juge ». Les mots ricochent, s’écorchent, se bousculent et se répètent dans la bouche de Thierry Hellin. Ils créent un langage singulier qui n’existe que dans cet espace-temps scénique qui nous fait percevoir jusqu’à « l’odeur des enfants qu’on aime pas ».
Au début, le plateau se divise en deux espaces. Côté cour, l’homme, un peu gauche, confie son récit à l’assemblée. Côté jardin, il rejoue avec tendresse des bribes de son histoire, sur une seconde scène, plus petite, encombrée de meubles et des bibelots. La lumière de Clément Papin distingue ces deux espaces et confère une atmosphère intime au témoignage. Petit à petit, l’homme prend de l’assurance, son engouement déborde et les délimitations s’estompent pour laisser place à l’expression de son amour pour la petite, et à sa révolte contre la bureaucratie et ses démarches absurdes. Sobrement représenté par un trait lumineux ou par son lit de fortune, l’enfant sans chair existe, mimé par des mots et habillé par des gestes. Un cadre esthétique efficace donc, qui met en valeur une certaine poétique de l’espace et cette poésie psychologique propre au narrateur.
Ce seul en scène, qui paradoxalement met un point d’honneur à faire sentir la présence de l’enfant dans la vie de notre ours mal léché, frappe juste. Le seul reproche à adresser à l’Enfant sauvage serait sa fin. Notre homme quitte son histoire et s’avance dans un discours un brin moralisateur. Alors, me vient l’impression désagréable que l’on cherche à m’expliquer le spectacle auquel je viens d’assister. Comme je viens de l’écrire, le spectacle vise et atteint sa cible. Peut-être que la compagnie peut lâcher du lest et accepter de nous faire confiance ?