critique &
création culturelle

Les blackout sessions

de l’atelier 210 Noir, silence, musique

Depuis 2012, l’Atelier 210 organise des blackout sessions . Le principe est d’écouter un album en entier dans le noir complet, avec pour seule interruption le changement de face du disque vinyle.

Le public, nombreux, est arrivé très en avance. Les gens se dirigent immédiatement vers le bar, l’ambiance est au rendez-vous et les discussions incessantes. Des bribes perplexes s’échappent du brouhaha :

« Finalement, ça ne sert à rien de payer des musiciens, quand on voit le monde qui se déplace pour un disque !

— Ceux-là, ils n’étaient même pas nés quand l’album est sorti ! »

À l’honneur ce soir, , album de Led Zeppelin sorti en 1969. Un incontournable, une perle pour les initiés, peut-être une grande découverte pour ceux qui sont venus sans connaître.

Après une bonne heure à patienter bière à la main, enfin les portes s’ouvrent :

« Munissez vous de votre ticket ! Et pas la peine de pousser, on n’est pas des animaux ! »

L’excitation est surprenante, en véritables groupies, les gens se ruent à l’intérieur de la salle.

« C’est libre là ?

— Y’a une place devant…

— Viens, viens, viens ! »

Il faut caser tout le monde. Vacarme. À se demander s’ils vont se tenir tranquilles. Vont-ils savoir se taire ?

Il y a un certain décorum : sur l’estrade, un large fauteuil, une table basse sur laquelle sont posées une platine et une table de mixage, régie minimaliste pour un concert sans musiciens. Une sorte de Monsieur Loyal apparaît, il s’installe dans le fauteuil et sort délicatement le disque de son étui. C’est carrément affriolant, le public est en haleine. S’ensuit une présentation du groupe et une mise en contexte de l’album. Ça devient sérieux. Puis viennent les recommandations : ne pas fumer, éteindre son GSM notamment afin de préserver le noir complet, ne pas parler (ce qui jusque-là paraît impossible). Toute sortie sera définitive.

Quand on pense que Led Zeppelin a fait bouger les foules, que toute une génération a exulté en sueur et en transe des mimiques de batteur et des mouvements d’ air guitar sur fond de libération sexuelle, on peut se dire, pour le moment, que cette soirée n’est pas si rock ‘n’ roll…

Quand on pense que les gens, ici, sont survoltés pour une chaise vide, on se demande si ça ne va pas tourner au spiritisme ou à la thérapie collective. Et ce fétichisme autour du microsillon, c’est pas un peu snob ?

Quand on pense que…

Et soudain : noir, silence, musique.

La clé de cette soirée est là : arrêter de penser.

Alors les critiques sont contrecarrées par le fait que… c’est vraiment chouette ! S’accorder un moment d’écoute attentive, se plonger dans la musique sans zapper, s’offrir the playlist originale, celle de l’album. Il ne faut pas chercher plus loin, éviter soi-même de devenir snob, et coincé.

Et puis le noir, c’est trop rare. C’est le contraire du show. Relâchement total, oubli de soi et des autres. On comprend mieux l’effervescence qui a précédé la séance, comme si le public avait poussé le stress à son paroxysme pour mieux apprécier le blackout.

À la sortie, les mines sont réjouies.

« Oh yeah ! »

Même rédacteur·ice :

Rock, jazz, électro, etc.

La programmation des blackout sessions est éclectique.

Led Zeppelin
II
Atlantic Records, 1969
41’29