Les Sept Mercenaires était avant tout le western canonique de John Sturges. Et puis est sorti le remake d’Antoine Fuqua. Une nouvelle version tristement révélatrice de l’industrie cinématographique de notre temps.
Non, ce n’est pas des sept candidats à la primaire de la droite qu’il s’agit, Frank Fillon, le
poor lonesome cow-boysarthois ayant dégainé plus vite que son ombre pour dézinguer tous ses adversaires, laissant «
Old Timer» Juppé dans la poussière, les bras en croix (à gauche, le massacre promet d’être plus sanglant encore, carrément
la Horde sauvage). Je fais juste référence aux nouveaux mercenaires, rappelés par Antoine Fuqua, cinéaste qui a eu (mais est-ce lui ?) la funeste idée de proposer une nouvelle mouture du mythique western homonyme de John Sturges (1960), rebaptisé en français
les Sept Mercenaires.
Une nouvelle version tristement révélatrice de l’industrie cinématographique de notre temps. Rappelons tout de même la généalogie de l’affaire.
À l’origine, le chef-d’œuvre indépassable, le classique des classiques d’Akira Kurosawa : les Sept Samouraïs. Un jalon essentiel dans l’histoire des codes narratifs du cinéma, un film dont la trame se situe dans le Japon du Moyen Âge et raconte comment des paysans, régulièrement rançonnés par des pillards, décident d’engager un groupe de samouraïs pour les défendre.
En 1960, John Sturges, honnête réalisateur de films d’action et de westerns, décide d’adapter le film et de transposer l’histoire dans les décors traditionnels du genre, remplaçant les paysans japonais par un pueblo de pauvres Mexicains. À la tête du groupe, la seule vraie star à l’époque : Yul Brynner (qui reprendra la tenue noire et le look stylisé de son personnage pour jouer le robot de Westworld ). À ses côtés, une série d’acteurs alors relativement peu connus vont voir leur talent et leur notoriété éclater grâce à ce film : Steve McQueen, Charles Bronson, James Coburn, Robert Vaughn, Horst Buchholz… sans oublier Eli Wallach, futur « truand » chez Sergio Leone.
Le film de Sturges reste fidèle au message de Kurosawa qui, d’ailleurs, séduit par cette adaptation, offrira même au réalisateur américain un sabre japonais en témoignage de son admiration. C’est sans doute un des meilleurs films de l’histoire du western : justesse des acteurs et des dialogues (répliques ciselées témoignant souvent d’une dérision désabusée dont beaucoup de spectateurs se souviennent encore aujourd’hui), diversité des caractères, tous inoubliables, même les plus sobres, beauté des paysages et de la mise en scène, subtilité psychologique des personnages perçant sous leur laconisme, dosage de la tension et un incroyable savoir-faire lors des scènes de bataille. Le film de Sturges reste beau jusque dans ses petites imperfections, admirablement servi en outre par la musique d’Elmer Bernstein, mais c’est surtout l’équilibre de la narration qui force le respect. Pas mal de scènes d’anthologie, à commencer par la rencontre entre Chris (Brynner) et Vin (McQueen), qui les amène à conduire dans un corbillard la dépouille d’un Indien dont on refuse l’inhumation au cimetière.
Tous les aficionados du film ont leur personnage favori parmi les sept : Coburn, silhouette taciturne et dégingandée de lanceur de couteau, Bronson, brute au cœur tendre touché par l’amitié des enfants du village, Buchholz, jeune chien fou fasciné par la dextérité de ses aînés, Vaughn, élégant lâche en quête de rédemption, et même Brad Dexter, le seul qui ne comprendra pas la noble démarche des autres prêts à se battre pour une somme dérisoire et restera persuadé jusqu’à sa mort qu’il y avait un trésor caché. Au moment de lui fermer les yeux, Brynner n’aura pas le cœur de le détromper. Aucun manichéisme dans le film de Sturges : la bande des quarante Mexicains qui rançonnent les paysans n’est pas montrée comme une horde de brutes ignobles, mais comme des hors-la-loi traînant leur faim et leur misère dont le chef se sent responsable, presque en « bon père de famille ».
Ce dernier, Calvera, est joué de façon magistrale par Eli Wallach, acteur guère connu jusque-là, si l’on excepte sa prestation dans le Baby Doll d’Elia Kazan. Sa fausse bonhomie est un curieux mélange de drôlerie menaçante et de cynisme naïf, comme lorsqu’il constate le manque de religion de ses concitoyens, se plaignant que les troncs des églises qu’il pille sont presque toujours vides.
Bref, un western en bonne et due forme, qui sent la poussière et se déroule sous un soleil implacable, tout en gardant la conclusion amère du modèle japonais : « Les combats des guerriers sont toujours des combats perdus. Les seuls vainqueurs sont les paysans qui demeurent. »
Que reste-t-il de tout cela dans la version de 2016 ? Comme dans le cas des romans historiques, le film en dit plus long sur l’époque pendant laquelle il a été réalisé que sur celle qu’il prétend représenter.
On a d’abord voulu accentuer la diversité de la bande des sept, afin que les minorités des États-Unis actuels soient mieux représentées : le chef, black, joué par Denzel Washington, recrute notamment un Asiatique, un Indien, un Mexicain, un sudiste ex-confédéré, etc. Résultat : comme les personnages sont extrêmement peu fouillés, cette diversité est totalement factice, bien moindre que celle qui régnait entre les protagonistes de 1960, et aboutit à une uniformité dans la caricature. En comparaison, le regard que portait Sturges sur les Mexicains avait une autre profondeur et une autre humanité. N’oublions pas non plus le remplacement du vieux chef du village mexicain par une accorte jeune femme. La loi des quotas sans doute. Quant au méchant de service, un industriel brutal dépourvu de tout intérêt et platement caricatural, il est joué sans génie par Peter Sarsgaard, mais y avait-il moyen de faire autre chose de ce rôle ? L’ombre de Calvera et de ses sept adversaires planera encore longtemps.
Le lieu ensuite : contrairement aux Magnificent Seven de Sturges, les mercenaires de 2016 ne se rendent pas au Mexique. Le mur de Trump serait-il déjà en place pour empêcher les pauvres Mexicains de recruter leurs protecteurs aux États-Unis ? En outre, signe des temps là aussi, une empreinte religieuse confinant à la bigoterie ponctue tout le film. Cela n’empêche pas la narration de multiplier les épisodes de violence gratuite à la façon d’un jeu vidéo. Dire que l’esthétique du film s’en ressent est un euphémisme. Voulant à toute force se démarquer du western de Sturges, Fuqua lorgne du côté du western-spaghetti et surtout de Tarantino. Le Pale Rider d’Eastwood semble avoir également inspiré l’atmosphère du film, sauf qu’on a oublié en chemin l’ambiguïté, le mystère et la stylisation glacée si fascinante de l’original.
Curieusement, on se dit qu’un remake devrait être encore plus proche de son modèle qu’une adaptation ou une transposition, or on ne retrouve plus rien des sources d’inspiration, si ce n’est quelques phrases du film de Sturges et au final, quelques échos de la musique de Bernstein.
On pourrait s’interroger pour savoir comment a pu naître l’idée saugrenue de tourner un tel remake.
La réponse se trouve peut-être dans une scène du film de Sturges, au moment où Calvera, ayant fait prisonnier les mercenaires, demande aux deux leaders pourquoi ils ont décidé de venir en aide aux paysans du village pour un salaire de misère :
Calvera : What I don’t understand is why a man like you took the job in the first place, hmm ? Why, huh ?
Chris : I wonder myself.
Calvera : No, come on, come on, tell me why.
Vin : It’s like a fellow I once knew in El Paso. One day, he just took all his clothes off and jumped in a mess of cactus. I asked him that same question : « Why ? »
Calvera : And?
Vin : He said, « It seemed to be a good idea at the time. »