critique &
création culturelle

Life is a cabaret

Le théâtre Le Public met les petits plats dans les grands pour la rentrée avec sa production du musical Cabaret . Un spectacle ambitieux mais qui manque parfois de chair. Wilkommen !

La comédie musicale (dans sa forme américaine, le musical ) n’est pas un genre dont le public belge a l’habitude. Parfois à l’occasion de l’un ou l’autre méga-show dans une grande salle ( Mamma Mia ! , Dirty Dancing …) ou dans le cadre des tournées des comédies « à la française » ( le Roi Soleil et autres indigences musicales…). On est loin de Broadway ou du West End.

Si Cabaret a connu de nombreuses productions à New York et à Londres (notamment celle, langoureuse et sombre, de Sam Mendes, reprise actuellement à Broadway), c’est surtout l’adaptation au cinéma par Bob Fosse, en 1972, qui l’a fait connaître auprès du grand public, associant à jamais Liza Minnelli et son chapeau melon au rôle de la pétillante Sally Bowles . C’est donc avec beaucoup de curiosité et d’attentes que l’on part à la découverte de cette nouvelle production d’un grand classique du répertoire, proposé par le théâtre Le Public qui, pour l’occasion, investit la grande salle du National.

Adapté des récits que Christopher Isherwood a tirés de son séjour berlinois (dans son Adieu à Berlin ), Cabaret raconte le parcours dans la capitale allemande d’un apprenti écrivain américain sans-le-sou, Cliff Bradshaw, plongé dans l’univers interlope des nuits berlinoises , et sa rencontre avec Sally Bowles, tête d’affiche made in England du Kit Kat Klub. Mi-chanteuse, mi-pute, la jeune femme cache sous une flamboyante bonne humeur une grande solitude et beaucoup d’amertume. Alors qu’il préfère les hommes, Cliff se laisse entraîner par Sally dans une vie de bohême, arrosée au gin, alors qu’autour d’eux la fête semble tourner au cauchemar : l’ombre inquiétante du parti nazi commence à s’étendre sur la ville.

Michel Kacenelenbogen, le metteur en scène, a vu les choses en grand et propose une production impressionnante : orchestre conséquent (dirigé par Pascal Charpentier), danseurs, comédiens, scène mobile, etc. Il est rare de voir, en Belgique francophone du moins, autant de monde et de moyens sur scène. Et, il ne faut pas gâcher son plaisir, le tout fonctionne de manière très efficace.

Les nombreux numéros musicaux, chorégraphiés par Thierry Smits (qui lorgne pour le coup avec beaucoup de malice et d’humour du côté de Bob Fosse), tiennent vraiment la route et, même si les comédiens ne sont pas tous chanteurs de formation, on prend plaisir à les écouter. On retiendra surtout la prestation de Steve Beirnaert dans le rôle d’Emcee , le monsieur Loyal, qui évolue d’un bout à l’autre du spectacle avec énormément de prestance et de charisme. Certaines chansons sont traduites en français mais, fort heureusement, les grands classiques du musical ( Mein Herr , Maybe This Time , Money, Cabaret …) sont interprétés en version originale. Alors oui, ça chante beaucoup. Mais c’est la loi du genre.

La scénographie permet une occupation très étendue du plateau et, grâce à un immense rideau de chaines ondulantes, de jouer aussi sur des espaces plus intimes tout en laissant voir l’orchestre, placé en hauteur, en fond de scène. Visuellement, le spectacle présente quelque chose de très élégant. Les costumes, légèrement déshabillés, les couleurs froides des lumières, les rares éléments de décors… Tout est étudié, disposé avec soin. Du coup, l’ensemble donne une impression de grande propreté et manque parfois de chair. Frontalement, dans la grande salle froide du National, on se sent loin de la décadence et de l’atmosphère un peu désuète, un peu vulgaire du cabaret.

On regrettera aussi, surtout dans la première partie du spectacle, que le rythme ne soit pas plus enlevé, que les scènes ne s’enchaînent pas plus rapidement. Alors qu’après l’entracte le ton se veut beaucoup plus grave, le tout semble plus resserré et beaucoup plus fluide. On avance vers un finale qui parvient à allier gravité et souffle , avec comme ultime image l’annonce du drame à venir.

Une fin sombre mais qu’importe : life is a cabaret.

Théâtre National , du 11 septembre au 1er octobre 2014
Maison de la culture d’Arlon , les 19 et 20 novembre 2014
Théâtre de Liège , du 19 au 31 décembre 2014
Centre culturel de l’Arrondissement de Huy , le 22 janvier 2015
Théâtre de Namur , du 27 au 31 janvier 2015
Théâtre du Passage (Neuchâtel), du 6 au 9 février 2015
Nuithonie-Equilibre (Fribourg), les 13 et 14 février 2015
Louvain-la-Neuve — Aula Magna, du 3 au 8 mars 2015

Même rédacteur·ice :

Cabaret
Mise en scène par Michel Kacenelenbogen
Directeur musical par Pascal Charpentier
Chorégraphe par Thierry Smits