Des années 1970 à aujourd'hui, Lignes d’ombre retrace le parcours photographique de Graciela Iturbide. La photographe mexicaine propose un travail documentaire, humaniste, frôlant le mystique et l’onirique.
Dans le cadre du PhotoBrussels Festival, la Fondation A met à l’honneur Graciela Iturbide, lauréate des prix W.Eugene Smith en 1987 et Hasselblad en 2008. Lignes d’ombre nous offre un accès aux tréfonds culturels des humains, une traversée de l’Amérique latine passant par les Indiens de Sonora, les femmes de Juchitàn ou encore le jardin botanique d’Oaxaca.
Dès les premiers portraits, des femmes aux allures de guerrières démontrent une impressionnante force d’ancrage. Ces images puissantes aux lumières perçantes ont un tempérament unique à la fois sensible et exigeant. Des regards habités semblent chercher l’horizon autant que le visiteur.
L’artiste s’approprie la photographie documentaire pour comprendre son continent natal. Elle capture les différentes facettes de l’humain en passant par son rapport à la spiritualité, à la nature mais aussi à la mort. La photographe permet au rationnel et à l'irrationnel une cohabitation sans doute nécessaire pour la psychologie humaine.
Entre religion catholique et rites culturels indigènes émergent le mystique, l'innommable connexion au divin. Même si certains rituels peuvent sembler déroutants lorsqu’on les observe avec les yeux d’une autre culture, ils sont porteurs d’une grande intelligence existentielle permettant un allégement des consciences et un soulagement de l’angoisse de la mort. Alexis Fabry, commissaire de l’exposition, nous livre ces mots : « Elle a développé la photographie documentaire pour explorer les relations entre l’humain et la nature, l’individuel et le culturel, le réel et le psychologique. »
Certaines photographies, curieuses, reflètent un drôle d’équilibre entre un cadrage réfléchi et le hasard. Graciela Iturbide, présente lors de la visite de presse, nous confie ne pas vraiment être une photographe de l’instant décisif. Elle passe de nombreux jours en compagnie de ses sujets, s’intègre à la communauté, créant une certaine complicité. Dans la série des femmes de Juchitàn, une forme de sororité semble s’imposer. Au-delà du désir de documenter se trouve peut-être le besoin du souvenir ?
Les images débordant d’humanisme m’envahissent d’un sentiment contradictoire. C’est une écriture lumineuse qui parle de la mort. En cela, l’exposition Lignes d’ombre porte bien son nom. L’anthropomorphisme et la mort animale représentés à de nombreuses reprises sont aussi d’une grande symbolique de l'inconscient, du trépassement et de l’agitation émotionnelle. Pourtant, une obsession pour les oiseaux, légers, intègre l'œuvre de l’artiste.
La Fondation A, chargée du montage de l'exposition, s'est efforcée de réaliser une scénographie absolument soignée. Une délicate attention est portée à la matérialisation de l’image : un papier fragile et texturé rend hommage aux noirs et blancs profonds, contrastés et tranchants, de Graciela Iturbide. Accrochées sur un mur blanc, à hauteur de tête les unes à côté des autres, les photographies sont rigoureusement encadrées pour offrir une simplicité de lecture. La Fondation A prend même le parti de n’afficher aucune référence. Une sobriété qui offre tout l'espace nécessaire au langage de l’image.
Lignes d’ombre est un alignement photographique puissant, une écriture à la fois lumineuse et sombre de l’Homme face à son existence. À travers l’Amérique latine, Graciela Iturbide nous offre son regard pour nous perdre dans la complexité de l’âme humaine.