Avec son premier long-métrage, Jordana Spiro signe une œuvre touchante mais convenue sur une jeune femme à qui la vie a distribué les mauvaises cartes.
Nous entrons dans Long Way Home accompagné par une voix, celle d’Angel, une jeune femme de 18 ans qui, en quelques phrases, évoque un heureux souvenir partagé avec ses parents. C’est une entrée de jeu tranquille, assez poétique et douce. Mais qui n’a qu’un temps.
Dans les quatre-vingts minutes qui suivront, les mots d’Angel se feront en effet rares. Nous l’apprenons vite : les années qui la séparent de ce souvenir n’ont pas été tendres. C’est à la sortie d’un centre de détention pour adolescents que la jeune femme apparaît pour la première fois au spectateur. En quelques dialogues, échangés froidement entre juge et avocats, l’essentiel est compris. Elle est passée de mauvaises familles d’accueil en pires situations depuis l’événement qui a complètement bouleversé sa vie : le meurtre de sa mère par son père. Marquée au fer rouge par ces expériences traumatisantes, séparée de sa petite sœur de dix ans, et sans espoir d’avenir, elle se met en quête de son géniteur meurtrier — non sans avoir acquis une arme à feu pour satisfaire son désir de vengeance.
Quoiqu’une telle description pourrait le suggérer, Long Way Home est tout sauf un thriller riche en adrénaline. Calme, mélancolique et dominé par un sentiment de tristesse, le film trouve plutôt sa place au côté des drames indépendants américains estampillés Sundance. Il y a d’ailleurs connu un petit succès, voyant sa réalisatrice Jordana Spiro, dont c’est le premier long-métrage, récompensée du NEXT Innovator Award . Un prix qui n’est pas démérité : sa mise en scène, bien que dépourvue de fioritures, est assez inspirée.
Avec un sens marqué de l’affect, elle nous fait suivre l’errance nocturne de sa protagoniste, fréquemment sordide, mais toujours ancrée dans une certaine réalité. Sans forcer le pathos, elle nous place dans la peau de cette jeune adulte peu bavarde, qui ne trahit guère ses émotions, mais dont le sentiment d’aliénation est évident et ô combien compréhensible. Dans une scène particulièrement déchirante, on la voit confrontée à ce que son adolescence aurait pu être — des parents aimants, une maison, des amis, des goûters à 17h, etc. C’est une réalité qui lui a été volée et qui, de manière plus tragique encore, lui paraît désormais inatteignable.
Tout le film n’est pas pour autant aussi puissant. Suivant la route un peu prévisible du récit initiatique, Long Way Home manque d’audace, préférant emprunter des chemins narratifs connus plutôt que d’assumer ce qui fait son originalité. Son intrigue de vengeance, si rare dans les drames indépendants, n’a guère d’impact sur l’identité du film par exemple. Il en va de même pour la réalité sociale représentée ici : jeune femme homosexuelle et noire, Angel n’est pas exactement le genre de personnage qu’on a l’habitude de voir à l’écran, mais le film s’échine à n’évoquer que brièvement les spécificités de son expérience.
Si justesse il y a, c’est à ses actrices et ses acteurs que le film le doit ; en particulier Dominique Fishback (Angel), qui, dans un rôle difficile où les émotions se doivent d’être contenues, parvient à nous toucher. L’autre actrice phare, Tatum Marilyn Hall, impressionne tout autant dans le rôle la petite sœur d’Angel. Attachante par sa personnalité un brin bravache, elle se révèle particulièrement émouvante par sa vulnérabilité, donnant une réalité à cette relation sororale chaotique, ainsi qu’une touche de lumière à ce film peu joyeux mais sensible.