Lucie Antunes & Irène Drésel
Lune et L'autre
Lucie Antunes et Irène Drésel se retrouvaient le temps d’une double programmation au théâtre national pour l’ouverture du Festival des Libertés. Retour sur un double concert aux accents électroniques qui laissent un goût de bonbons acidulés à la rose en bouche.
Janvier 2024 : mon amie Louise partage une vidéo du clip dans lequel elle fait de la figuration sur les réseaux. Au tableau, Anna Mougalis en noir et blanc faisant la fête entourée de costumes-cravates serrés, le tout sur une bande son frénétique. Je tombe dans la spirale Lucie Antunes en quelques secondes. Son album Carnaval, que j’écoute dans la foulée, est une bouffée d’air ; une caisse claire qui bat la cadence, des rythmes électroniques racontant la dérive et la fête. Le tout saupoudré de paroles empreintes d’’une douceur assumée : « Vous êtes parfait.e.s » « Faites vous des bisous » «T’as tout ton temps » Le projet a un goût doux-amer, à la fois acide et enrobant.
La force des possibles
Neuf mois plus tard, l’artiste percussionniste est programmée le temps d’une soirée au festival des libertés, en double concert avec Irène Drésel, autre figure montante de la prolifique scène électronique française. Je foule l’entrée du théâtre national, éclairée pour l’occasion de quelques néons roses et violets. Lucie Antunes arrive, ses baguettes de xylophone à la main, sous les applaudissements. Autour d’elle, Lara Yetunde Oyedepo au carillon et au clavier, Franck Berthoux à l’électronique. À peine résonnent les premières notes de xylophone que la foule bascule, se laisse prendre par le rythme effréné des percussions. Les sons s’accordent, s’entrechoquent pour faire monter l’intensité et l’énergie de ce début de soirée. S’armant d’un sifflet pour « Carnaval », chantant à pleine voix ses paroles, maîtrisant le xylophone, Lucie Antunes performe à merveille le caractère multi-instrumentiste qui fait l’essence de sa musique.
Viens alors le point de bascule du concert, quand la danseuse Lara Yetunde Oyedepo quitte les carillons le temps de quelques pas de waacking. Elle embrase la scène, faisant des allers-retours entre l’instrument et la danse. La performance donne à la scène des airs de ballroom1, multipliant les possibles. L’artiste clôture son concert sur « Vous êtes parfait.e.s. », un hymne qui résonne dans la salle du Théâtre National comme un manifeste. Ici réside la force d’Antunes : ne jamais se reposer sur une formule miracle, toujours expérimenter, tant dans la composition que dans la performance live. Elle n’hésite pas à rebattre les cartes quand il le faut, invitant danseuse, fanfare, public… jusqu’à traduire de manière fidèle l’esprit du carnaval, de la fête populaire aux accents de transe collective. Si nous ne sommes peut-être « pas parfaits », force est de constater que certaines performances scéniques le sont.
L’offrande des machines
À peine le temps de commander une bière que déjà, j’entends les premières notes des synthés technos d’Irène Drésel. L’artiste vient s’installer derrière des platines camouflées par des parterres de fleurs. À sa droite, Sizo Del Givry, fidèle batteur et percussionniste. L’artiste française vient jouer son dernier projet, Rose fluo, une techno efficace, débarrassée de toute parole. Quelques mélodies résonnent même par moment comme un clin d’œil aux BO de John Carpenter. Après quelques minutes, je comprends qu’il n’y aura pas de temps de pause, elle choisit un format DJ set, nous offrant les morceaux de l’album comme une seule piste.
La force du concert est sa scénographie léchée, de l’arrosoir qui sert de bouteille d’eau à Sizo, aux tenues (la robe de mariée chez Irène Drésel, la cape blanche à capuche d’un tiers acteur qui déambule sur scène). Le tout convoque un cérémonial de l’ordre de l’occulte. Il est un savoir bien gardé, dont Irène possède les clés. On a quitté le Carnaval, nous sommes à présent dans un temple sacré où la techno rythme nos mouvements. La performance est travaillée, sèche et efficace, les machines créent un tempo qui entraîne le corps collectif du public. On amène alors un micro à l’artiste, qui entonne les paroles de « Thérèse » :
« Ô petite fleur terrestre, envoyez-moi votre majestueuse pluie de rose… »
La majestueuse pluie de rose nous atteint en plein visage, et je comprends que la musique d’Irène Drésel est une offrande des machines, une fleur électronique que l’on décide de cueillir.
Bad seeds matter
Reste ma curiosité à voir l’artiste se produire pendant trois, quatre heures… Oublier la mélodie, et danser jusqu’à devenir végétation, prendre racine. Sa musique est une pluie de fleurs, le public observe, tourne autour, à la manière de mauvaises herbes, qui ne sont pas dans la lumière de la scène, mais qui participent elles aussi au vivant. Ces mauvaises herbes qui poussent au pied des hangars et des souterrains où la techno fut jouée, là où le temps s’arrête le temps de quelques nuits. Voilà, c’est là où je rêverais de voir Irène Drésel, là où sa musique résonnerait autrement. Enfin, qu’importe, ce soir-là, je quitte le théâtre essoufflé et heureux, le cœur rempli de rythme et de mélodie qui accompagneront mes futures nuits d’insomnie.