MadMagus
Vainqueur du concours Emergenza Belgium 2016, le groupe MadMagus vient de sortir son premier album, intitulé Cuckoo’s Nest .
de MadMagus ressemble par moments à un
objet sonore non identifiéet expérimental : ce premier opus allie un cœur rock avec un esprit éclectique.
Rencontre avec Malcolm et Danilo.
Quels genres musicaux votre rock éclectique brasse-t-il ?
Notre musique s’inscrit essentiellement dans le rock progressif et alternatif même si à nos débuts on faisait plus dans le rock brut. Cette évolution se remarque dans notre premier album où notre identité passée, rockeuse au sens strict, laisse place à notre identité actuelle, intégrant des influences funk, métal et prog. On tient cependant à se démarquer du rock progressif des années 1990 et 2000 en apportant plus de recherche en matière de structure et de technique. On tend donc vers un nouveau rock progressif même si on s’efforce d’être inclassable à l’instar de groupes tels qu’Opeth et System of a Down.
Notre genre musical correspond à notre vision de la musique comme un espace de fusion multiculturelle, un langage universel capable d’inclure et d’harmoniser différentes expressions issues des quatre coins du monde et de diverses époques. On cherchera par exemple à exploiter une ligne de basse latino suivie d’une envolée métal. C’est pourquoi on prône constamment une tension entre diversité et cohésion, opposition et harmonie, ordre et désordre.
Comment se déroule votre processus créatif ?
Il repose sur le principe de la cocréation. Nous n’avons aucun compositeur désigné, chaque membre du groupe participe à la composition. Contrairement au début où l’on se basait principalement sur des compos persos, on peut désormais partir d’une basse avec un rythme latino comme d’une batterie métal ou d’accords plus psyché, après quoi on s’occupe de la mélodie, de la structure puis de l’arrangement. Un autre élément important est la liberté laissée aux trois instruments à cordes, la basse et les deux guitares, car, en exploitant des rythmiques différentes et en laissant plus de créativité à chacun, on se distancie du rock pur et dur qui tend à proposer des sonorités identiques. Autant dire que cette liberté est à la fois un point fort et un point faible car on doit perpétuellement s’adapter les uns aux autres et veiller à l’unité de l’ensemble.
Le nom et l’univers de MadMagus renvoient à la sémantique du culte et de la transcendance. Quel lien concevez-vous entre musique et mystique ? Autrement dit, en quoi la musique est-elle une expérience mystique ?
Tout à fait ! Pour commencer, le nom du groupe, trouvé par Logan, réunit deux éléments essentiels à nos yeux : la folie (« Mad ») et la magie (« Magus », signifiant « mage » en référence à Zarathoustra, le premier des mages et adepte de la magie en tant que science). Notre projet consiste à allier un aspect excentrique, fantasque et décalé à une dimension plus sérieuse, solennelle et spirituelle. Le pouvoir magique de la musique, c’est de nous faire sortir de nous-mêmes. Ce pouvoir, détenu par plusieurs entités, ne peut vraiment s’exprimer que lorsque celles-ci sont réunies : les musiciens, le public et une tierce entité résultant de la communion entre eux.
Malcolm : Je partage personnellement la vision de Beethoven selon laquelle « la musique est une révélation plus haute que toute religion et philosophie ». Elle permet pour moi de transcender le quotidien et la réalité, il s’agit d’une langue première, primitive et antérieure au langage verbal : un bébé n’a pas besoin de connaître une musique pour réagir (en souriant par exemple) et la comprendre intuitivement. Il y a une réceptivité originelle au sein de chacun de nous à l’égard de ce langage universel. La musique me permet aussi de modifier mon cerveau ainsi que la manière dont je perçois mes problèmes et mon expérience.
Danilo : La musique a toujours été magique pour moi car elle est le lieu de l’insaisissable, où l’on perd une forme de contrôle sur qui on est et ce que l’on fait. Cette perte de contrôle est néanmoins voulue car elle nous permet de nous dépasser. À ce propos, les jam sessions, en raison de leur caractère improvisé et spontané, offrent les conditions idéales pour travailler ce lâcher prise et cette part instinctive.
En fait, on est convaincu qu’une entité surnaturelle, MadMagus, nous guide. On entretient une relation d’interdépendance : sans lui, pas d’unité, mais, sans nous, pas de musique et donc pas de divinité musicale . On joue d’ailleurs avec ce concept dans l’album (cf. le titre He Has Spoken ). À noter qu’on a construit cette identité sans préméditation : la dimension mystique du groupe existait déjà dans notre musique avant qu’on lui donne un nom. On a seulement mis des mots dessus. Comme dirait Logan, « on s’est auto-influencé : la musique a influencé le nom et en même temps le nom a influencé la musique ».
Revenons à la première partie du mot MadMagus : que signifie pour vous la folie ?
Beaucoup de choses ! Tout d’abord, la folie, c’est un rapport qu’on entretient avec le public lors des performances live. La réceptivité de celui-ci produit un échange de flux d’énergie : on rend le public fou et le public nous rend fous. Notre folie ajoutée à leur folie produit une synthèse de folie augmentée, en quelque sorte. C’est donc avant tout un phénomène collectif. Sur scène, c’est Henry qui incarne le mieux cet esprit !
Ensuite, la folie, c’est aussi proposer quelque chose de nouveau et de couillu. Autrement dit, pas de folie sans folie créatrice ! La folie, c’est oser explorer des territoires artistiques inconnus et intégrer des éléments musicaux en apparence opposés en les accordant entre eux. Résultat, on fait le pari d’être inclassable ! En un mot, la folie représente pour nous la liberté de trouver notre propre identité musicale.
Quel regard portez-vous sur la scène rock à Bruxelles ?
La scène rock au sens classique est inexistante même s’il y a une scène musicale bouillonnante. En fait, la culture rock est morte depuis les années 1990 suite aux vagues néo-métal et néo-punk. L’esprit rock des années 1970 et 1980 d’un Kurt Cobain ou d’un Jim Morrison est révolu, à savoir ce besoin viscéral de semer le chaos et renverser les règles établies. Et pour cause, le rock répondait alors à une nécessité existentielle, s’assimilait à un véritable mode de vie. Aujourd’hui, il s’agit d’un luxe, d’un complément. La preuve étant que beaucoup de groupes rock sont formés par des étudiants qui sont loin de vivre sous les ponts ou de se défoncer avant chaque représentation. De toute façon, la situation a changé : de nos jours, les impératifs extérieurs et économiques compromettent largement la possibilité de vivre de la musique.
En comparaison, Bruxelles est un lieu de bisounours. Cependant, la sphère rock mise à part, on observe une scène multiculturelle riche et une culture des live croissante. L’époque où des styles musicaux bien précis dominaient la scène est terminée, dorénavant le mélange des genres s’impose, pas seulement en musique mais dans les arts en général : cette hybridité associe théâtre et cinéma, peinture et musique, etc. Ce changement de mentalité et de circonstances n’est pas négatif en soi car, en ce qui nous concerne, on ne se sent pas rockeux même si on fait du rock, c’est-à-dire qu’on ne se réduit pas à des rockeux. On se veut avant tout des artistes de notre temps, du XXI e siècle, portés sur l’éclectisme, le mélange des genres et l’apport de la technologie.
Malgré cette vision fataliste, une jeune scène dynamique a émergé au cours des dernières années, apte à utiliser les nouvelles technologies dont internet, alors que quelques années auparavant plein de groupes très talentueux se cassaient la figure car ils ne disposaient pas des clés pour s’adapter aux règles de l’industrie musicale (accès aux producteurs et labels, etc). On a également une recrudescence d’indie rock qui fait son chemin depuis peu.
Quelle est la place des nouvelles technologies (sons numériques, etc.) dans le rock actuel ?
Pour nous, elle est omniprésente. Chaque domaine audiovisuel a toujours dû évoluer à travers les nouvelles technologies. Ainsi, le rock tel qu’on le joue est né en plein dedans : les effets de distortion ou d’ overdrive ont amené ce grain, ce son particulier dans les guitares. C’était d’abord des effets analogiques, donc purement mécaniques et électriques.
De nos jours, l’informatique a également ajouté sa touche : le nombre d’effets numériques, et donc de possibilités de sons différents, favorise la création de musiques hors du commun et complètement originales. Résultat, ça a conféré une diversité au rock qui n’a du coup plus grand-chose à voir avec le rock des années 1960 ou 1970.
Prenons le cas de l’utilisation des compresseurs numériques. Il est rare de trouver un ingénieur du son qui ne s’en sert pas pour mixer ou masteriser des morceaux car ça permet de limiter le volume de tel ou tel instrument afin de mieux faire ressortir la voix, par exemple.
Résultat, ces nouvelles technologies apportent un énorme plus à l’évolution de la musique, en permettant notamment des fusions de styles avec des sons beaucoup mieux travaillés (au niveau des effets ou de l’utilisation des fréquences), ou encore de créer des nouveaux genres. Certes, il y aura toujours des puristes qui préféreront le plug & play (c’est-à-dire prendre sa guitare, se brancher sur un bon ampli à lampes et jouer directement), et on le comprend. Il n’empêche, on est plus attiré par l’idée de créer quelque chose de nouveau avec des sonorités encore inconnues. Si on avait donné à John Lennon un ordinateur avec des synthés virtuels comme sur Ableton, il aurait certainement exploité ces possibilités.