Mathieu Asselin et Laia Abril
Photographie d’investigation
Depuis leur présentation en 2016 et en 2017 aux Rencontres Photographiques d’Arles, On Abortion de Laia Abril et Monsanto: A Photographic Investigation de Mathieu Asselin, n’ont pas fini de faire parler d’eux.
Monsanto : A Photographic Investigation du franco-vénézuélien Mathieu Asselin est la conclusion d’un travail documentaire titanesque, long de cinq ans, mené de l’Alabama aux pays de l’Asie du Sud-Est. Il nous plonge dans l’immense polémique qui entoure la multinationale Monsanto, fabricant du célèbre et décrié Roundup, herbicide à base de glyphosate.
En collectionnant documents, rapports scientifiques, archives publicitaires, témoignages et portraits, cette enquête photographique, publiée sous forme de livre, lève le voile sur les arcanes d’un lobby international terrifiant . Les campagnes publicitaires clament : « La vie est chimique. Avec les produits chimiques, les sociétés comme Monsanto contribuent à améliorer la qualité de vie ». Les études scientifiques révélant la toxicité des produits Monsanto sont mises sous silence. Les victimes de l’exposition aux produits chimiques et toxiques de Monsanto (Roundup, hydrocarbures PCB ou Agent Orange) se comptent par millions.
Au Vietnam, au Laos et au Cambodge, la dioxine, présente dans l’Agent Orange, déversé par l’armée américaine lors de la guerre du Vietnam, touche aujourd’hui une troisième génération de victimes. La dioxine, transmise dans l’ensemble de la chaîne alimentaire cause de graves malformations embryonnaires. Certaines images « susceptibles de heurter la sensibilité des enfants et des personnes non averties », comme indiqué sur la première de couverture, sont si dures qu’elles font détourner le regard. Difficile de ne pas penser à Tomoko Uemura dans son bain, piéta emblématique photographiée par W. Eugene Smith à Minamata, au Japon.
Aux États-Unis, les vétérans de la guerre du Vietnam, leurs enfants mais également les habitants des environs des usines Monsanto, sont atteints de maladies, cancers ou malformations fœtales. Plus qu’un travail plastique, le travail de Mathieu Asselin est un réquisitoire contre Monsanto, si condensé qu’il peut en être indigeste.
À l’instar de Mathieu Asselin et de sa révolte citoyenne, l’artiste espagnole Laia Abril se penche sur la question de l’avortement avec une colère intelligente. On Abortion est le premier chapitre de History of Misogyny, un ensemble de livres et d’expositions abordant la condition de la femme, la culture du viol, les mythes liés aux menstruations et les avortements clandestins.
Particulièrement d'actualité depuis le référendum sur la question en République d'Irlande et le changement de législation prévu pour 2020 par la Cour Constitutionnelle en Corée du Sud, On Abortion and the repercussions of lack of access analyse ce sujet brûlant avec beaucoup de nuances. Des instruments gynécologiques à travers l’Histoire aux faiseuses d’anges (qui pratiquent des avortements dans la clandestinité), en passant par la dérive de l’avortement sélectif (selon le sexe, courant au Vietnam et en Inde), Abril dresse un bilan glaçant : 47.000 femmes meurent chaque année des suites d’un avortement clandestin.
Laia Abril, ancienne rédactrice au magazine Colors, porte une attention particulière à l’édition de ses livres. On Abortion, d’abord présenté sous forme d’exposition créée en collaboration avec le graphiste Ramon Pez, a su trouver son identité propre en tant que livre, aux antipodes du catalogue.
Ses recherches la mène à la rencontre d’acteurs pro-choice comme Women on Web qui envoie des pilules abortives par-delà les frontières. On Abortion rassemble des témoignages déchirants et les illustre de portraits, d’images médicales, d’images d’archives ou de reconstitutions et de planches de romans photos. Au Salvador, par exemple, une fausse couche est un motif d’emprisonnement de plusieurs années.
Même si l’artiste espagnole ne se considère pas comme une activiste et laisse à chacun le droit de se forger sa propre opinion sur le sujet, On Abortion est une oeuvre féministe nécessaire qui place le sujet tabou de l’avortement au cœur des débats. Perçu probablement comme un acte d'activisme, le projet de la photographe a d’ailleurs, dans un premier temps, peiné à trouver un lieu d’exposition en République d’Irlande.
La question du pouvoir de l'image a toujours été au cœur des discussions en photojournalisme et en photographie documentaire. En raison de sa fidélité de reproduction du réel, la photographie est assimilée, à tort, à une source d’information infaillible. Pourtant, le cadrage inévitable fait d'une photographie la représentation d'une simple portion du réel.
Malgré les thématiques actuelles abordées dans On Abortion et Monsanto: A Photographic Investigation, ses travaux ne se positionnent pas dans le champ photojournalistique. La force des travaux d’Abril et Asselin réside en effet dans la recherche documentaire et la construction narrative de ces corpus photographiques.
Ces deux livres militants, documentaires et extrêmement nourris, créent un électrochoc et demandent une lecture alerte. Peut-être laissent-ils entrevoir l’avenir de la photographie documentaire : une pratique où le fact-checking devient, comme en journalisme, une étape indispensable et où les légendes retrouvent leurs lettres de noblesse.