Court métrage réalisé par des étudiants en deuxième année de l’ESRA Bruxelles, au rang desquels les réalisateurs Bertrand Gevart et Bertrand Cerfontaine, May dépeint des retrouvailles ratées entre une fille placée en IPPJ et sa mère, l’espaced’un week-end. Une parenthèse de liberté et de libération entre deux périodes d’aliénation et d’enfermement.
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Ce film parlé de douze minutes s’apparente à un film muet . La plupart des paroles, criées, exclamées, chuchotées, disent sans dire, enchaînent les non-dits et détournent de ce qui doit être dit. Le non-dit se veut l’indicible. Tel est le cœur du film : parvenir à représenter ce qui n’est pas dit, à communiquer au spectateur l’impossibilité de communiquer entre les personnages.
Récit. Une jeune fille, May (brillamment interprétée par Aisleen McLafferty).
May, un nom empreint de sens. En prononçant séparément la lettre m , cela donne : /m/ + /m é/, aimer . Hasard ou choix délibéré ? Or May s’avère justement quelqu’un de mal-aimé, pas au sens de qui n’est pas aimé mais qui est aimé d’une mauvaise manière .
Le décor, d’emblée planté : la protagoniste fait son entrée dans une IPPJ.
Cependant, cette première scène pour le spectateur ressemble à une énième scène pour le personnage, affichant calme et docilité . Éternel retour du même ? Malgré cette atmosphère de résignation, d’inéluctabilité et de tragique, un signe d’ouverture se manifeste une fois May dans sa chambre : en écartant les rideaux, elle libère la pièce (et le début du film) de l’obscurité pesante, dévoile un horizon, tant physique que métaphorique, la possibilité d’un avenir par opposition à ce présent castrateur.
Aux premières scènes silencieuses succède la première scène parlée, violente et déchirant le voile de solitude nimbant May. Moment de rupture dans le déroulement continu et naturel des événements. Une codétenue lance d’un ton agressif et méprisant : « Alors comme ça, tu vas voir ta mère ? » Face à l’impassibilité de May, elle renchérit : « Eh, j’te parle, sale chienne. Je vais t’apprendre la politesse vu que ta pute de mère l’a pas fait. » La violence comme premier mode de communication , d’échange avec autrui. Au même moment, la figure de la mère est arrachée à l’absence. Elle apparaît sans apparaître, de manière ambiguë : le mot « pute » renvoie-t-il à une insulte générique ou à une réalité spécifique susceptible d’expliquer en partie pourquoi May est ce qu’elle est, est là où elle est, fait ce qu’elle fait ? La violence des propos de l’agresseuse révèle-t-elle une autre violence, plus grande encore ?
Apparition physique de la mère (jouée par Stéphanie Lowette, bouleversante dans l’alternance des états d’esprits qu’elle incarne), en compagnie de May.
Peu à peu on apprend, on comprend. La mère vit dans une autre réalité. Sa joie de vivre et sa légèreté contrastent avec le sérieux et la retenue de May. Elle s’avère autant absente en présence de sa fille qu’en son absence : elle parle pour ne rien dire, le dialogue se mue en monologue égocentré bardé de futilités. Son obsession pour la coquetterie reflète son incompréhension de la réalité. En se maquillant, elle maquille la réalité, en voulant se rendre visible aux autres, elle se rend invisible à elle-même . Son désir d’être vue traduit son incapacité à voir.
La prolixité de la mère se heurte au mur de silence de May. L’absence de paroles de cette dernière met en lumière la vacuité des paroles de la première. Le père a beau être absent du début à la fin, l’absence psychologique de la mère est renforcée par sa présence physique.
Pourtant, la mère aime sa fille. Mais mal. Maladroitement. May malheureuse parce que mal-aimée. Or mal aimer, c’est mal dire l’amour. Chaque parole devient une occasion manquée de plus de réunir deux êtres qui s’aiment, les éloigne au lieu de les rapprocher. D’ailleurs, chaque scène mère-fille se déroule à l’intérieur. Dans un lieu bouché, fermé. Voiture et maison ne sont que d’autres formes de prison. Jamais à l’extérieur, à l’air libre. Huis clos étouffant. D’où cette question : un mauvais amour cause-t-il plus de souffrances et de violence que l’absence d’amour ?
L’enfermement. La fiction du film met en évidence la fiction de la mère . À force de vivre uniquement dans sa réalité, elle s’est fermée à la réalité de l’autre, de cet autre qui est pourtant censé être le sien, la sienne, sa fille. La mère baigne constamment dans une réalité idéalisée : musique joyeuse, rires, excitation à l’idée de rencontrer l’homme pour lequel elle va littéralement planter sa fille et rompre le seul moment d’harmonie et de complicité avec elle. À tel point qu’elle semble donner plus d’amour à des étrangers (aucune information ne filtre à propos de l’homme en question, ravalé au rang de total inconnu pour le spectateur voire pour May elle-même) qu’à sa propre fille. L’étranger semble plus proche et accessible que le familier, fruit de sa chair et de son cœur. Qui dit enfermement dit solitude. Parfaitement illustrée par le point de vue cinématographique : les deux individus n’apparaissent quasi jamais sur le même plan. Ils sont ensemble tout en étant séparés. L’image montre la séparation psychologique entre deux individus pourtant réunis dans une même réalité physique. Les personnages ont beau se parler, ils ne s’écoutent pas.
Contrairement à sa mère, May a perdu ses illusions et vit dans le réel, cru et violent. À l’image de la musique qu’elle écoute, le rap, elle se rebelle parfois contre la réalité tout en sachant qu’elle ne la changera pas. Car l’acte de révolte est avant tout un acte de reconnaissance de l’existence de ce contre quoi on se révolte. L’adulte est ici un enfant, l’enfant un adulte.
Survient à la fin du film la seule parole parvenant à exprimer l’indicible, prononcée par May seule dans sa chambre : « Maman ». D’où un côté tragique : le dicible ne peut être dit que lorsqu’on est seul car en présence de l’autre le dicible devient l’incommunicable.
Seul bémol, le format semble trop court pour contenir toute la profondeur de l’histoire, imposant par moments un rythme narratif trop rapide et évolutif, en dépit des prestations remarquables des deux actrices. L’essentiel est néanmoins acquis puisque May réussit à rendre visible l’échec invisible des relations humaines.