Monolithe Noir et le modulaire
Après un court historique du modulaire, Monolithe Noir, musicien et compositeur de musique électronique découvert lors d’une Session Karoo , nous en dit plus sur son parcours et son rapport à l’instrument.
Mes premiers contacts avec les instruments électroniques au sens large ont été purement visuels. Déjà gamin, je vivais dans le fantasme d’une musique concoctée dans une forme de laboratoire – en l’occurrence plutôt ma chambre ou mon salon.
Déjà pas fortiche en science mais inspiré par les graphiques, les ustensiles de chimie mais aussi et surtout par les protocoles expérimentaux, j’ai commencé à la fin de mes études de sociologie puis de musicologie à acheter des machines. D’abord un Casiotone, ensuite un sampler SP404, puis un Korg Delta, premier vrai synthé analogique à atterrir chez moi. Je sentais déjà le potentiel incroyable mais aussi les limites de ces instruments d’un point de vue sonique et ergonomique. C’est après avoir utilisé un filtre Vermona Lancet que j’ai décidé de me lancer dans le modulaire. J’avais pu traiter des sources, les tordre à souhait, les modeler avec le toucher, chose que je n’avais jamais pu faire auparavant en tant que musicien.
Il m’a fallu quelques années quand même, la démocratisation (toute relative) du format Eurorack (format maintenant le plus courant), une visite du magasin Schneidersladen à Berlin et pas mal de vidéos tutoriels, pour plonger tête la première (au prix de pas mal d’économies) dans le monde du modulaire. Le virus est donc entré par l’œil et après pas mal de luttes, d’incompréhension et grâce à l’aide d’un ami bien renseigné, j’ai pu commencer à m’approprier le fameux outil.
Cela fait maintenant depuis l’automne 2015 que j’achète et combine des modules. J’en ai même assemblés et soudés, plutôt pour le pire que pour le meilleur. Si les rapports conflictuels du début avec la machine (étincelles, fumée, pas de son, trop de son) sont aujourd’hui pacifiés et que du son en sort la plupart du temps, on dirait que je m’applique à rester dans une forme de flou artistique. Par goût du mystère ? Sûrement par impatience. Parce que le synthétiseur modulaire invite à ça : tout est à portée de main, il suffit de s’y plonger, de tripatouiller, d’essayer, sans se farcir systématiquement la froide littérature d’un manuel . C’est nécessaire malgré tout, dans certains cas, mais dans le nôtre, il est permis d’expérimenter tout en s’éloignant du protocole expérimental. Et si je suivais tel itinéraire plutôt que celui qui est conseillé ? L’histoire n’en sera pas la même. Un monde s’ouvre et la manipulation de synthétiseurs, disons plus classiques, peut en devenir frustrante !
J’ai toujours entrevu mon système comme un outil et non un instrument à part entière pour une raison : il n’est pas une fin en soi. Le synthétiseur modulaire tel qu’on le voit sur scène ou en studio porte une forte valeur symbolique. Il inspire sérieux mais aussi crainte et curiosité. On m’a souvent demandé en fin de concert à quoi riment tous ces câbles sortant de ma boîte et je me suis contenté d’une explication un peu grossière : prenez un synthétiseur analogique, retournez-le comme une chaussette, vous verrez ses entrailles. Image très schématique et pas entièrement vrai mais qui a peut-être l’avantage d’offrir une explication rapide dans un contexte d’après-concert et qui ne donne pas envie à mon interlocuteur de plonger dans des explications trop complexes . Quand on s’expose avec un tel instrument sur scène ou en studio, on attire l’attention et la quasi invisibilité du geste musical y contribue probablement.
À l’occasion de l’écriture de ce dossier pour Karoo, j’ai décidé de sortir exceptionnellement de ma tanière pour rencontrer Mika Oki. Artiste, productrice de musique électronique, DJ et Radio Manager à The Word Radio. Elle a fait la découverte de la synthèse soustractive il y a 6 ans, dans le cadre de ses études d’art à Strasbourg :
« Il y avait un gros synthétiseur modulaire construit par un des professeur et technicien de l’atelier que l’on pouvait utiliser. Je me souviens que j’avais fini par passer tout mon séjour dessus à tester, patcher, repatcher et c’est là que j’ai eu le coup de foudre avec cet outil. »
Et comment ne pas avoir le coup de foudre ? Il faut pouvoir en observer un pour percevoir le magnétisme de l’instrument : sons vivants, multiples interconnexions (idéalement colorées pour s’y retrouver), lumières clignotantes. Un véritable être vivant ! Sa manipulation permet de saisir chaque étape dans la fabrication d’un son, d’une séquence, et d’envisager son évolution dans le temps. De quoi mettre les neurones en ébullition. Justement, porté par mes propres préjugés, j’ai voulu demandé à Mika si elle ne trouvait pas ce « milieu » élitiste :
« J’avoue que je n’étais pas très à l’aise quand je me retrouvais dans des événement autours du modulaire mais maintenant, je le vois plus comme une communauté, où tu peux te refiler des tricks , prendre des conseils. La plupart des personnes que j’ai eu l’occasion de rencontrer sont plus autistes qu’élitistes ! J’ai toujours l’image du scientifique fou qui cherche à résoudre son équation quand je vois quelqu’un faire son patch. »
Le portrait de Floating Points sur le site Resident Advisor (à lire !) va dans le sens de cette fascination pour le savant fou. Idem pour James Holden ou encore Caribou, qu’on soupçonnait d’appliquer des formules mathématiques à la composition des titres alors qu’il n’en était rien. Mais on comprend aussi que, bien qu’intimidante au premier contact, cette communauté est un lieu essentiel d’échanges de savoirs et d’entraide. Une chose précieuse quand la pratique musicale, en particulier dans la musique électronique, se fait assez solitaire.
S’il m’est toujours difficile de me positionner dans cette communauté, je dois reconnaître que l’instrument a influencé ma manière de composer. Je l’ai adopté pour la philosophie qu’il induit : (presque) tous les chemins sont permis, à condition de savoir se l’autoriser. Et secrètement je nourris un certain fétichisme pour mon système. Il permet aussi d’interroger notre rapport aux autres instruments, ce qui est donné et ce qu’on en fait. C’est en tout cas comme ça que j’ai construit ma pratique et quand elle n’est pas conditionnée par la nécessité d’être écoutable sur scène, la manipulation de mon système souvent remodelé est particulièrement jouissive.
Comme l’explique Laurent de Wilde à propos de l’utilisation des premiers synthétiseurs modulaires dans son livre Les Fous du Son : « (Autrement dit) un son n’est plus censé sonner comme quelque chose, il s’est définitivement libéré de la matière à laquelle il est attaché depuis la nuit des temps. Il est devenu un phénomène physique et esthétique débarrassé de toute entrave, il n’a plus de référent de finalité, il est tout simplement ce qu’il est ». Les possibilités d’arriver à un son au maximum personnel sont certes décuplées par l’utilisation d’un système modulaire mais pas autant que par la simple idée — que l’on peut mettre en pratique par de multiples autres moyens — qu’un son, aussi simple soit-il, est une matière à travailler.
Cliquez ici pour une invitation à la divagation modulaire sur les internets !