Toute la souillure et le mal dont l’homme est capable en neuf personnages. NO43 Filth de la compagnie estonienne NO99 est un spectacle physique, porté par une scénographie originale.
La décadence, la mesquinerie humaine, l’explosion des bas instincts. Ces thèmes, qui obsèdent une bonne part de l’histoire de l’art, sont ici matérialisés par un élément des plus clairs : la boue. Dans NO43 , la scène du KVS est littéralement recouverte d’une épaisse couche de boue qui colle aux chaussures. Elle éclabousse les chevilles, les mollets, peu à peu les corps entiers, jusqu’à ce qu’ils s’y roulent allègrement pour, de bousculades en empoignades, finir maculés, imprégnés, physiquement et symboliquement souillés par la fange.
Avec NO43 , les Estoniens de la compagnie NO99 alignent un spectacle de plus vers leur objectif : la centaine. Une fois ce nombre atteint, la compagnie se dissoudra. NO43 Filth a été créé à Tallin en 2015 et est en tournée ; entre-temps, ils sont déjà arrivés au NO37 .
La prouesse, outre le rythme de création, tient ici dans la forme du spectacle : deux heures presque sans parole, et sans jamais vraiment perdre le spectateur. Il ne s’agit pour autant pas de danse à proprement parler, ou alors dans ce qu’elle aurait de moins technique et de plus illustratif. On passe en effet constamment du niveau symbolique au plus littéral. Le premier tableau montre ainsi des individus isolés les uns des autres, aussi incapables d’interagir que de se laisser vivre. La difficulté des relations et l’individualisme sont alors évoqués par les corps qui se frôlent et se repoussent tour à tour, alors que les visages restent impassibles. Quand l’inconfort est porté à son paroxysme, comme d’un coup, le spectacle sombre dans l’obscurité. Colère, sexe, violence sont mimés sans métaphore.
Le registre abstrait semble plus heureux que le littéral : si certains moments allégoriques dégagent une réelle beauté, peut-être la violence, pour être réellement ressentie, devait-elle être encore plus assumée, c’est-à-dire plus brute, moins cérémoniale. La force du spectacle paraissait parfois comme étouffée par les plaques transparentes qui séparent les spectateurs de la scène et qui les empêchent de finir dans le même état que les comédiens. Toutefois, dans les moments les plus agités, certaines éclaboussures ont tout de même trouvé leur chemin jusqu’aux premiers rangs. De la même manière, le spectacle fonctionne globalement et s’offre même quelques moments de grâce – par exemple quand, vers la fin, après s’être adonné à tous les excès, un jeune homme nu comme un ver pleure à gros bouillons sur les seins d’une dame d’un certain âge qui l’enlace, enfin.