Pentagon Papers
Pentagon Papers arrive à point nommé. Entre les fake news , les divers procès visant des journalistes, et l’avènement d’internet, la presse a plus que jamais besoin d’être défendue, et le dernier film de Steven Spielberg semble avoir été conçu dans ce but précis.
Le réalisateur de Lincoln et du Pont des espions continue sur sa lancée de thrillers politiques. Il s’attaque ici à un tournant majeur de l’histoire des médias américains, et signe une œuvre brûlante d’actualité, dont l’importance n’a d’égal que le manque de subtilité.
Il ne faut en effet pas être un génie pour deviner de quoi il est question dans Pentagon Papers. Avec dialogues appuyés et idées de mise en scène à foison, le film nous assène sans relâche son propos : la liberté de la presse se doit d’être préservée. Le long métrage prend place en 1971, alors que la publication de documents incriminant le gouvernement américain fait l’objet d’une guerre froide entre journalistes et politiciens, mais il pourrait tout aussi bien se dérouler à l’heure actuelle. C’est ainsi que Spielberg l’envisage : il filme débats, rencontres entre informateurs et reporters, dîners d’affaires forts en contentieux et fouilles archivistiques comme si ceux-ci venaient de se dérouler, jouant sur l’exaltation et l’urgence qu’ont pu ressentir les journalistes de l’époque. Les parallèles avec notre présent ne sont jamais explicitement formulés, mais ils ne pourraient être plus clairs.
Les fameux « Pentagon Papers » au centre du récit précèdent de quelques mois le scandale du Watergate, mais sont tout aussi juteux. Prouvant l’ingérence du gouvernement américain dans la guerre du Vietnam, ils représentent pour les journalistes du Washington Post une occasion en or, tout comme un dilemme complexe. Choisir de publier ou non ces documents a des conséquences morales, déontologiques, légales et pratiques immenses. La décision incombe à la directrice du quotidien, Kay Graham, une femme en position de pouvoir mais qui a jusqu’alors délégué la plupart de ses fonctions aux hommes qui l’entourent. Successivement vulnérable, assertive, compréhensive et ferme, elle est sans conteste le personnage le plus intéressant du film, et constitue peut-être le meilleur rôle de Meryl Streep depuis longtemps. Face à elle, Tom Hanks prend un plaisir évident à jouer Ben Bradlee, le rédacteur en chef du journal, qui aime presque autant dénicher un scoop qu’aboyer sur ses employés.
À leurs côtés s’animent une multitude d’interprètes talentueux, plutôt habitués aux séries télévisuelles de prestige : Sarah Paulson, David Cross, Bob Odenkirk, Bradley Whitford et Matthew Rhys font notamment des apparitions. Que le casting soit aussi exceptionnel est d’une certaine manière frustrant. La géniale Carrie Coon par exemple (brillante dans The Leftovers et Fargo), fait bonne figure, mais qu’une actrice de son calibre n’apparaisse que dans un si petit rôle est décevant, et il en va de même du reste de ses collègues.
Il est facile de deviner ce qui a pu les amener à tourner dans Pentagon Papers : outre l’importance du sujet, le nom de Steven Spielberg suffit à faire venir l’élite d’Hollywood. Même ses plus fervents détracteurs sont forcés d’admettre que le réalisateur américain a un talent inné pour le cinéma, faisant preuve d’autant aisance dans le drame historique mélodramatique que dans le film de science-fiction familial. Par son savoir-faire technique et artistique, il parvient à dynamiser une simple conversation, à insuffler une tension formidable dans un échange de regards et à rendre passionnante la moindre décision.
Paradoxalement, cela fait de lui un cinéaste peu indiqué pour mettre en images le scénario de Pentagon Papers. Le problème se situe surtout dans le script, signé par Liz Hannah et Josh Singer. Ils se font fort de souligner à chaque occasion possible l’importance de leur sujet, du moment et de leur message, abusant de dialogues explicatifs, visiblement effrayés que le spectateur ne saisisse pas de quoi il est question. À force de nous prendre par la main, Pentagon Papers finit donc par devenir répétitif, et la mise en scène de Spielberg a malheureusement tendance à renforcer cette impression.
Si le réalisateur apporte au récit une intelligence et une émotion qu’il n’avait peut-être pas à la base, l’inventivité de son montage, de son placement d’acteurs et de bien d’autres aspects techniques a également pour effet de souligner nombre des éléments déjà ostensiblement mis en avant par le scénario. La superbe mais peu subtile musique de John Williams parachève le caractère redondant du film, nous laissant le sentiment d’assister à un récit qui surligne tout, y compris sa propre importance. À sa défense, Pentagon Papers est une œuvre essentielle dans le contexte actuel. Au sein de la filmographie de son réalisateur par contre, c’est un film mineur.