Jack Black n’a laissé qu’une montre après sa mort, retrouvée chez un prêteur sur gages. Et ce livre, où il raconte sa vie de vagabond et de voleur, ses nuits dehors et la faim qui le déchire. Les éditions Monsieur Toussaint Louverture publient Personne ne gagne dans la collection « Les Grands animaux ». Nouveau titre, belle couverture et postface de Burroughs pour ces quatre cent cinquante pages de liberté.
Ça commence comme souvent : un jeune garçon a soif d’argent et d’aventure. Le jeune Jack Black décide de quitter son père et part travailler, préférant la vie de journalier au confort que lui offre ses pénates. Comme souvent aussi pour les bonnes histoires, ça foire. Jack Black prend les chemins de l’itinérance et de l’illégalité pour continuer à vivre. Pendant trente ans, il parcourt le continent américain, de San Francisco au Canada, à pied, en train, par tous les moyens. Au terme de son itinérance, revenu de tout, il prend la plume, devient journaliste et écrit Personne ne gagne .
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Années folles ? On connaît ; Baz Luhrman a remis le Gatzby de Fitzgerald au goût du jour. L’itinérance ? On connait aussi ; Kerouac et sa beat generation continuent de fasciner. Personne ne gagne, c’est pourtant un peu des deux. Mais ses années folles à lui sont bien moins luxueuses, et sa vie sur les routes n’a rien d’un caprice.
Les itinérances de Jack Black et le milieu dans lequel il évolue sont profondément romanesques, avec des lieux infinis, des personnages truculents et marginaux. On découvre un monde de misère et de pauvreté, mais également de sincérité et de liberté. De l’autre côté des États-Unis, le great Gatsby donne ses fêtes somptueuses, plongé dans l’hypocrisie et les faux-semblants. C’est à ce paradoxe qu’on se confronte en lisant le récit. Derrière une vision idéalisée, on saisit la complexité d’une époque, d’un pays, et la construction tout aussi obscure du « rêve américain ».
Jack Black refuse à l’adolescence la vie qui s’offre à lui, arrêtant l’instruction et la promesse d’un avenir paisible pour se lancer dans la vie active. S’ensuivent d’évidentes aventures qui le mèneront au vol et au braquage. Bref, lutter pour survivre. C’est en ce point que le livre se démarque de la beat génération qui voudra lui emboîter le pas quelques décennies plus tard. Quand Kerouac et sa bande prennent la route pour vivre et qu’ils refusent les conventions bourgeoises, Jack Black, lui, le fait pour survivre. Il ment, il vole, il braque et il compte pour savoir quand la nécessité arrivera. Ayant enfin trouvé la stabilité, il devient journaliste décide d’écrire ses aventures, sa vie, avec le recul de la maturité. Romanesque jusqu’au bout, il meurt de façon mystérieuse, probablement assassiné.
Style épuré : écrire comme on parle
Parvenu à la fin de ses aventures, Jack Black décide de prendre la plume. Malgré tout, le style représente à merveille l’état d’esprit qui anime la narration : libre et sincère. Des phrases courtes et saccadées, un style brut qui permet de saisir la fougue organique de l’« écrivain ». Personne ne gagne s’écrit comme une histoire contée, un flux de paroles. Plus que lire un roman, on écoute le récit d’une vie comme on s’assiérait au coin d’un feu dans le plus pur cliché américain. Le narrateur nous prend par la main et nous accompagne, il ouvre un espace de connivence, presque d’intimité avec le lecteur. Il veut transmettre son histoire et partager :
Toutes ces choses qui me sont arrivés pendant des années, je vais les raconter ici. Et je vais les raconter comme je les aies vécues : le sourire aux lèvres.
L’auteur diagnostique la société qu’il a parcourue et qu’il observe encore, désormais journaliste. Le constat est lucide, éclairant, et résolument contemporain.
Tout ce qui pourrait me manquer, ce serait un peu plus de modération, un peu plus de tolérance, et un peu plus de l’innocence confiante qu’avait ce petit garçon.
Jack Black nous parle, cent ans après, et nous montre que, finalement, rien n’a vraiment changé. Cependant, la fin du roman tombe dans sa propre caricature. L’auteur dresse le bilan de sa vie et s’autorise à certains moments un ton quelque peu moralisateur.
Oh le beau livre !
Dans les rayons des librairies, le livre se démarque. Couverture noire et argentée, design résolument moderne, un livre aussi bien à lire qu’à regarder. Monsieur Toussaint Louverture offre une littérature en dehors des sentiers battus, des « livres tonitruants » comme la maison se définit elle-même. À l’image de Personne ne gagne , l’éditeur propose un catalogue qui bouleverse les perspectives qu’on donne à notre monde. Parmi eux, un certain Karoo .