Quand Dieu fait du cinéma
Tout le monde en parle. Le Tout Nouveau Testament à peine sorti, il se voit déjà couvert d’une réputation du feu de Dieu. Et c’est avec un plaisir démesuré que je me suis rendue pour Karoo à la première projection, hier à peine. Les critiques sont unanimes. Et pour le coup, l’Union fait bel et bien la Force.
D’un film à l’autre
La productivité artistique s’épanouit lorsqu’elle est en prise avec quelque chose, un objet, un sujet ou une pensée. Mais elle s’épanouit aussi lorsqu’un artiste est conscient du regard qu’il porte sur le monde, ainsi que sur lui-même. D’un film à l’autre, un cinéaste modifie ou non cette conscience ; d’un film à l’autre, nous pouvons, nous spectateurs, nous permettre de mettre son œuvre en perspective.
Dieu est un connard qui bat sa fille (Éa, jouée par Pili Groyne), qui soumet sa femme (campée par la très crédible foldingue Yolande Moreau), et dont le fils, JC (David Murgia) est parti depuis un bout de temps avec ses douze apôtres. Mais que fait le Connard qui s’ennuie ? Il emmerde le Monde. Cette activité étant encore plus divertissante quand, justement, le monde, c’est lui qui l’a créé. Éa décide de se tirer de son immeuble gris, pour aller rendre les gens heureux. Auparavant, elle a juste le temps d’envoyer par SMS, via le Super-ordinateur divin, toutes les dates de décès aux individus du monde. Et le bordel fut.
Dieu est un connard
Nous retrouvons avec joie dans le Tout Nouveau Testament l’ambiance « jacovandormalienne », cette atmosphère mêlant subtilement naïveté et réalisme cru. Ainsi, le film évoque brièvement les expulsions des Afghans à Bruxelles, les violences conjugales, et sans doute les dérives de la société hyper-connectée. Mais il y a aussi de l’amour, de la douceur, bref, plein de « cœurs de beurre », comme dirait Éa. Le tout dans un parfait équilibre qui rend le film à la fois émouvant, poétique (le choix d’une musique par personne vient renforcer cet effet, comme la bande originale d’An Pierlé d’ailleurs) et complètement grossier et rustre. Après ça, on ne dira plus jamais que les Belges ne sont pas des gens amusants. Et d’ailleurs, l’humour est décliné à toutes les sauces : humour comédie, humour burlesque sur le mode du « coup de bâton » ( slapstick ), cynisme, etc. Un divin cocktail.
Comme dans Toto le héros ou Mister Nobody , il y a cette question existentielle, voire même métaphysique, qui semble obséder notre Jaco : comment mener sa propre vie ? Ici, puisque Dieu a été saboté par sa fille, chacun n’a plus qu’une seule option : prendre ses derniers moments de vie en main. Si les réponses apportées par les personnages à cette question sont finalement très romantiques (l’amour, souvent), ces protagonistes sont tous marginaux, maudits, torturés, ce qui renforce l’absurdité touchante des séquences.
Enfin, le spectateur s’amusera des innombrables allusions que recèle le film : deux caméos au moins, l’un de Jaco Van Dormael, l’autre de Thomas Gunzig (coscénariste).
Des allusions au magnifique spectacle Kiss and Cry , la saynète montrant Pascal Duquenne, héros du film le Huitième Jour . Et puis, surtout, les plans magnifiques de Bruxelles, qui se laissent regarder tout seuls. De quoi ranimer la flamme belge qui est en chacun de nous. Finalement, notre cinéma belge aurait peut-être trouvé son nouveau prophète. Qu’en pensez-vous ?
https://www.youtube.com/watch?v=3bRhncJok8o