Silence d’amour de Matthieu Parciboula
Voyager et se reconstruire
Silence d’amour est la nouvelle bande dessinée de Matthieu Parciboula, publiée aux éditions Casterman. Après Prisonniers du passage, l’auteur revient avec un récit poignant et empli de sensibilité. Il nous propose un voyage à travers le deuil et la nostalgie, mais aussi la résilience et la reconstruction.
« E penso a te », « Qualche stupido Ti amo », « La bambola », ou encore « Silenzio d’amuri », voici les mélodies qui ont accompagnées mon voyage au cœur de la nouvelle bande dessinée de Matthieu Parciboula, Silence d’amour. Ces airs musicaux, recommandés par l’auteur à la fin de son ouvrage, permettent de se mettre dans l’ambiance du voyage italien de Paul. Après avoir perdu son épouse, il n’a cessé de « faire semblant » d’être en vie. Son amoureuse demeure partout, jusque dans les plus petites parcelles de son quotidien. Elle est sur les posts-it qu’elle laissait derrière elle, dans les messages enregistrés sur son répondeur, son absence se ressent à chaque endroit qu’ils ont traversé ensemble. Giovanni, un ami du couple, lui propose alors de le rejoindre en Toscane. Paul accepte et part en voyage sur les traces de Sofia, de leurs souvenirs partagés. Sofia a grandi sur l’île de Stromboli mais n’y était pas retournée depuis le naufrage de son père. Paul prend la décision d’aller explorer cette île, armé d’une vespa et de ses souvenirs. Ce périple sur les traces de celle qu’il aime tant l'entraîne dans une profonde introspection, tout en le conduisant, vers une véritable reconstruction, comme une sorte de boucle qui devait se refermer.
Cette bande dessinée m'a marquée par la grande sensibilité qui en émane et il est difficile de ne pas la ressentir. Tout d’abord, les aspects graphiques y sont un vecteur majeur d’émotions. On peut en effet trouver une grande palette de couleurs et de lumières au fil des pages : quand les instants traversés par les personnages sont plus durs, les couleurs s’assombrissent ; d’autres tons, plus éclatants, et parfois mélancoliques, font ressentir l’Italie, sa chaleur, ses paysages. Au-delà des couleurs, les traits sont tels que certaines odeurs semblent même perceptibles. On découvre une dimension presque contemplative dans ces aquarelles. Plusieurs pages sans texte peuvent ainsi s’enchainer, la beauté et la profondeur des images suffisent à faire éveiller des sensations.
La splendeur du dessin et des couleurs permet de faire vivre les émotions de Paul, de sa tristesse à sa reconstruction. Ce qui est également frappant dans cet ouvrage, c’est la profondeur des sentiments des personnages. Paul aime Sofia d’un amour si ardent et intense qu’il est possible, et même facile, pour le lecteur de le percevoir. Cet amour est pur et se ressent tant dans les mots employés par Paul, que dans les moments suspendus durant lesquels il retrace les souvenirs amoureux.
Un extrait m’a particulièrement touchée, dans lequel Paul parle de Sofia avec une enfant. Au-delà de la beauté des images de ces planches, la petite semble comprendre ce qu’il ressent. En regardant les étoiles, Paul se confie après que l’enfant lui a demandé s’il était triste : « Oui. Triste, vide et perdu. Et je me sens bête de ne pas savoir quoi faire de ça. » La jeune fille répond alors : « Ce n’est pas grave. C’est normal. C’était ton amoureuse. » Ce moment hors du temps, a résonné en moi. Il ramène aux instants de nos vie durant lesquels on peut avoir « honte » de ne pas comprendre ce que l’on ressent et de ne pas savoir quoi en faire. Dans ces instants-là, on imagine parfois que personne ne peut saisir nos émotions. Avoir quelqu’un qui nous écoute, nous comprend et nous tend la main est alors source d’un grand réconfort, d’un soulagement perceptible, non seulement dans cet extrait, mais aussi dans la suite du récit.
La justesse des mots employés par Paul est, elle aussi, vecteur d’émotions et de sensations. S’il me semble que cette bande dessinée est plus contemplative que textuelle, le texte nourrit vraisemblablement l’image. Par exemple, lorsque j’ai lu l’extrait suivant, il a tant résonné en moi que j’ai directement pris un crayon afin d’en laisser une trace dans un carnet et de pouvoir le relire :
« À tout à l’heure » C’est la dernière chose que je lui ai dite. J’avais dans la voix l’insouciance et la désinvolture de ceux bien installés dans la certitude du quotidien. Le matin, je me réveillais heureux sans le savoir. Ma vie, sans être facile, était belle. Je disais « à tout à l’heure » à ceux que j’aimais. J’avais oublié depuis longtemps que parfois on part sans revenir.
Cette bande dessinée vous embarque dans un voyage graphique -delà des paysages pittoresques du Stromboli. Silence d’amour de Matthieu Parciboula est , paradoxalement, un grand cri d’amour sensible et sincère.