critique &
création culturelle
Sous les figues
« Il se passe plein de choses dans les vergers »

Avec Sous les figues , présenté dans le cadre du Cinémamed, la cinéaste tunisienne Erige Sehiri retrace une journée de labeur à l'ombre des figuiers en Tunisie rurale. Une fiction et un hommage lumineux aux travailleuses agricoles, cœur battant de la récolte estivale.

Depuis maintenant 22 éditions, le festival méditerranéen de Bruxelles, qui se déploie dans une sélection de salles obscures du 2 au 10 décembre, fait la part belle aux regards méditerranéens. Cette année, l’événement bruxellois consacre tout un volet de sa programmation et une toute nouvelle compétition à la jeunesse méditerranéenne et à l’exploration de ses identités et aspirations. Aux côtés de Sous les figues , six films, tous genres confondus, concourent dans cette nouvelle catégorie, baptisée RêVolution.

Né de la rencontre de la réalisatrice, Erige Sehiri, avec Fidé, lycéenne et ouvrière agricole, devenue un des piliers de ce film choral, Sous les figues s’inspire du territoire, rythmé par la culture des figues, où a grandi la réalisatrice.

Lauréat cette année du Bayard d’Or du Festival international du film francophone de Namur , le long-métrage a la particularité d’orchestrer une diversité de points de vue adolescents. Dans le verger, principal décor, la caméra voyage d’arbre en arbre et se tourne vers les visages de Sana, Fidé, Melek, Mariem, Ghaith, Abdou et Firas. De l’aube au coucher du soleil, l’histoire des personnages, interprétés par des acteurs non-professionnels, originaires de la région du lieu de tournage et habitués de la cueillette saisonnière, se dévoile en pointillés. Au gré des bavardages dans un dialecte local, souvent délaissé par le cinéma tunisien, le contexte social et familial apparaît en filigrane.

Sous les figues est en effet une fiction pudique, tout en suggestion. La réalisatrice travaille ici au plus près de ses acteurs pour capter l’émotion parfois presque imperceptible de chaque battement de cil, de chaque regard timide. Les gestes, tant sensuels que précautionneux (« parce que casser une branche c’est comme casser un bras »), sont sublimés par la lumière naturelle, le choix d’une courte profondeur de champ et de couleurs légèrement désaturées. Et même lorsque le soleil monte au zénith, les ombres ne semblent jamais se durcir.

Pourtant, derrière l’apparente monotonie de la chorégraphie des cueilleurs, entre le flegme adolescent, la frivolité des rires et les parades amoureuses, se glissent, en sous-texte, des interrogations profondes et des enjeux bien réels. Sous la chaleur écrasante de ce « huis clos à ciel ouvert », les corps souffrent, les esprits s’échauffent et les générations dialoguent. Lentement, se tisse alors une réflexion sur l’émancipation en milieu rural, la sororité et la condition de la femme dans une société patriarcale. Comme Fidé l’affirme dans le film : « Il se passe plein de choses dans les vergers. »

Dans cette ode à la vitalité de l’adolescence, Erige Sehiri réussit avec beaucoup de justesse à dresser le portrait de cet âge où l’innocence se fissure. Mains tendues vers le ciel, bercés par les notes de trompette, de contrebasse et de harpe, les cœurs semblent chanter. Chanter les déclinaisons de l’amour, de la douleur et de la liberté.

Cinémamed

À retrouver aux cinémas Palace et Aventure, à Bozar et sur sooner.be
Du 2 au 10 décembre 2020

Même rédacteur·ice :

 

Sous les figues

Réalisé par Erige Sehiri

Avec Ameni Fdhili, Fide Fdhili, Feten Fdhili, Samar Sifi, Leila Ohebi Hneya Ben Elhedi Sbahi, Gaith Mendassi, Abdelhak Mrabti, Fedi Ben Achour, Firas Amri

Tunisie, France, Suisse, Allemagne, Qatar, 2022

92 minutes

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