En totale roue libre
Pour son dixième long-métrage, The French Dispatch , Wes Anderson laisse s’exprimer tout son art et embarque avec lui une pléiade d’acteurs renommés. Projeté en compétition à Cannes pour la palme d’or de l’édition 2021, The French Dispatch est le trip Andersonien ultime.
Dans le 7e art, il y a des réalisateurs dont le style est reconnaissable entre mille. Celui de Wes Anderson, c’est avant tout une patte visuelle propre à lui : symétrie des plans, décors recherchés et couleurs vives. Chez lui , chaque image peut être vue comme un tableau. Dans The French Dispatch , le réalisateur nous livre un véritable récital de tout ce qui constitue son style, il se fait plaisir et nous embarque dans sa vision de la presse écrite. Tandis que certains aimeront, d’autres auront plus difficile à rentrer dans cet univers bien particulier qu’est celui de Wes Anderson.
L’histoire étant assez difficile à récapituler de par ses multiples sous-intrigues, elle peut néanmoins se résumer à ceci : The French Dispatch nous expose plusieurs récits tirés du dernier numéro d’un magazine américain, publiées dans une ville fictive française des années 1950-60 .
Nous voici directement plongés dans la rédaction du journal The French Dispatch , filiale de l’honorable journal The Evening Sun de Liberty (Kansas) , basé à Ennui-sur-Blasé. Les différents journalistes sont sous les ordres du rédacteur en chef Arthur Howitzer Jr. (Bill Murray). S’en - suit l’histoire de trois reportages, comportant chacun sa part d’excentricité : le portrait d’un criminel (Benicio del Toro) qui deviendra un peintre célèbre, la couverture d’une révolution étudiante et , enfin, les aventures d’un grand chef cuisinier (Steve Park).
Pour les spectateurs qui ne seraient pas familiers du style de Wes Anderson, ce film peut être perçu comme un objet cinématographique difficilement identifiable . Comme il sait si bien le faire et c’est d’ailleurs là une des beautés de son cinéma , chaque plan est minutieusement travaillé et calculé. Chaque image est d’une parfaite symétrie et la caméra jongle entre des lents travellings et des plans plus serrés.
La couleur joue aussi un rôle important, passant sans cesse du noir et blanc à des couleur vives. Utilisant majoritairement le noir et blanc pour raconter des scènes du passé, ici tout se mélange. La couleur évoque le présent, mais également le passé, et il en va de même pour l’utilisation du noir et blanc, tout cela nous offrant au final un feu d’artifice pour les yeux. On sent que le réalisateur a voulu se faire plaisir et ainsi proposer un véritable joyau visuel . Comment ne pas penser à cette scène de course-poursuite et son style en bande dessinée (hommage à la ville d'Angoulême où le film a été tourné) ou encore à cette visite d’Ennui-sur-Blasé avec Owen Wilson comme guide (excusez du peu) ?
Dans The French Dispatch , le noir et blanc se mélange donc subtilement à la couleur, et inversément . On passe aussi du français à l’anglais, de l’anglais au français, chaque scèn e regorgeant de trouvailles visuelles. Porté par un casting pharaonique (Bill Murray, Timothée Chalamet, Léa Seydoux, Willem Dafoe, Adrien Brody et j’en passe), on sent que les acteurs s’amusent et se laissent guider dans l’univers si particulier et unique de Wes Anderson. Le metteur en scène s’offre même le luxe de convier certains grands noms le temps d’une ou deux phrases ( Edward Norton, Christoph Waltz, Cécile de France ). On retrouve même un nom bien connu chez nous, puisque Damien Bonnard apparaît en policier le temps de quelques secondes.
Un des reproches qui peut être fait au film, c’est qu’en restant trop attaché à ce qui constitue l’essence même de son cinéma, c’est - à - dire son style visuel si particulier et sa succession effr é née de dialogues, le film peut, par moments, épuiser le spectateur. Malheureusement, cela peut nuire à l’appréciation globale du film chez certains. Ici, Wes Anderson ne se réinvente pas, il propose ce qu’il sait faire de mieux. Pas question de laisser de côté son amour pour la symétrie parfaite et les dialogues plein d’ironie. Il assume et revendique clairement sa patte artistique, et on sent bien que c’est dans celle-ci qu’il s'épanouit le mieux. Alors que certains en seront friands et en redemanderont, d’autres pourront justement reprocher au réalisateur de ne pas vouloir sortir du style qu’il a lui-même créé.
The French Dispatch est un véritable hymne à ce que le cinéma peut offrir comme possibilités visuelles. Alors qu’il n’est pas des plus reposant, il demandera à son spectateur une attention particulière afin que celui-ci puisse en apprécier toute la subtilité et la beauté. Comme tous les films, The French Dispatch en décevra certains et en ravira d’autres, mais sa grande force est qu’il a le mérite d’amener le spectateur dans un autre monde. Avec l’avenir qui peut avoir tendance à s’obscurcir, changer de monde le temps de quelques heures n’est pas de refus.