Pour son premier film en tant que réalisateur, Rupert Everett se penche sur les dernières années de la vie d’Oscar Wilde, celles qui suivirent son incarcération à Reading.
Pour son premier film en tant que réalisateur, Rupert Everett se penche sur les dernières années de la vie d’Oscar Wilde, celles qui suivirent son incarcération à Reading.
Le grand mérite d’Everett est de se concentrer sur la période la plus noire de Wilde pour restituer avec une honnêteté sans faille la complexité d’un homme qui a cherché à faire de sa vie une œuvre d’art et a provoqué sa propre perte alors même que sa destinée connaissait son apogée. Rappelons brièvement les faits : au sommet de sa gloire, alors que ses pièces triomphent sur les scènes londoniennes et autres, Oscar Wilde est accusé de sodomie par le père de Lord Alfred « Bosie » Douglas, un jeune noble avec lequel il s’affiche ouvertement. Wilde aura la malencontreuse idée d’assigner le père de son compagnon en justice et perdra son procès, ce qui entraînera par la suite un choc en retour et le verra condamné pour outrage aux mœurs à une ignominieuse et terrible peine de deux ans de prison, causant sa déchéance physique, morale, intellectuelle et financière.
Ruper Everett (qui joue lui-même le rôle de Wilde, conférant au personnage une dimension tragique rarement atteinte sans gommer les aspects moins reluisants de l’auteur, comme son côté vaguement manipulateur 1 ) épate par l’élégance et la sensibilité de sa mise en scène, deux aspects qui auraient pu se nuire mais se complètent harmonieusement. L’on suit principalement Wilde et les derniers amis qui lui sont restés fidèles hors d’Angleterre, en France et à Naples. Il y jette ses derniers feux, tentant de s’étourdir dans les plaisirs malgré les contraintes financières, vivant chichement des maigres fonds que son épouse, mater dolorosa atteinte de la sclérose en plaques (remarquable Emily Watson, toujours si juste dans l’émotion), consent à lui allouer avant de lui couper les vivres lorsqu’il refuse de se séparer de son âme damnée.
« The word was on the street that the fire in your heart is out », chante Oasis dans Wonderwall et c’est le drame sous-jacent qui ronge l’écrivain sorti de prison : les tourments et humiliations puis l’incarcération l’ont brisé et sa flamme créatrice est définitivement en panne sèche. Bien sûr il y aura la douloureuse Ballade de la geôle de Reading , long poème sur les derniers jours d’un prisonnier ayant tué sa femme par jalousie, mais ce sera son chant du cygne, même pas publié sous son nom, écho tragique à la poignante lettre d’amour qu’il écrivit à Alfred Douglas depuis l’enfer de sa geôle et qui ne sera publiée qu’à titre posthume sous le titre De Profundis 2 .
Et c’est notamment ce document humain qu’on trouve à la racine du film de Rupert Everett, c’est dans cette lettre d’amour au ton accusateur qu’il puisera les images sombres qui décrivent la déchéance de l’artiste se traînant et se ruinant dans des lieux plus ou moins sordides, entrecoupée de moments flamboyants au milieu de ses amis artistes français ou en compagnie de jeunes Napolitains à la beauté insolente (une scène amèrement drôle à noter, celle où une mamma napolitaine bien naïve et plus vraie que nature débarque au beau milieu d’une scène de débauche pour venir gifler et réprimander son fils puis finit par s’excuser, croyant qu’elle s’est méprise puisqu’il n’y a aucune femme dans l’assistance !). Certes, Wilde est encore capable d’aphorismes et de traits d’esprit pétillants en société mais la vie a usé et épuisé sa veine créatrice et son énergie, hélas non renouvelable.
Ne dissimulant en rien l’égocentrisme du personnage, Everett en montre toute l’humanité et la fragilité, notamment au travers de flash-backs dont il n’abuse cependant guère. La scène où, lors d’un transfert, Wilde en habit de prisonnier attend le train à Clapham Junction entouré de deux gardes et se fait vilipender, insulter et cracher dessus par une foule haineuse l’ayant reconnu, est un sommet de cruauté sociale. Le grotesque façon Ensor et le réalisme se mêlent pour rendre toute la désespérance de ces moments dont on ne se remet jamais.
La passion de Rupert Everett pour son personnage semble avoir été contagieuse car tous les acteurs, même pour les plus petits rôles, sont au diapason (signalons Béatrice Dalle, amie et ancienne amante d’Everett, presque méconnaissable en tenancière de tripot). Mais s’il s’est senti certainement très proche de Wilde, Everett, tant dans son interprétation que dans son traitement du sujet, évite le piège de l’identification. Une attitude qu’on pourrait qualifier d’intelligence respectueuse.
Et le titre ? Ce n’est pas le moindre mérite d’Everett de nous rappeler que Wilde écrivit aussi des contes pour enfants, dont « le Prince heureux », superbe récit métaphorique qui conclut que l’amour est par essence la seule richesse qui vaille. Cette histoire qu’il raconte dans le film à l’un de ses amants parisiens et à son petit frère s’entrecroise judicieusement avec le récit de sa chute dans un univers sordide et confère au film une lumière qui éclaire toute la destinée d’un homme crucifié par les préjugés d’une société engoncée dans ses principes rigides.
Esthétique de bout en bout, le film rend hommage aussi au goût sensible dont Wilde témoigna toute sa vie, en lutte contre son époque et conscient que la vulgarité engendre la bêtise, à moins que ce ne soit l’inverse.
Quelle issue reste-t-il quand le monde se fait hideux ? Hébergé dans un hôtel minable peu avant de mourir, Oscar Wilde aurait déclaré à propos de la laideur des murs de la chambre :