The Smashing Machine
Dwayne Johnson et Benny Safdie réinventent le film sportif

Entre sueur, sang et introspection, Benny Safdie signe avec The Smashing Machine un drame viscéral où Dwayne Johnson livre la performance la plus bouleversante de sa carrière. Une plongée brutale et émouvante dans l’arène du corps et de l’âme.
Réalisé par Benny Safdie et distribué par A24, The Smashing Machine offre une expérience cinématographique à la fois brute et profondément intime. Le film marque un tournant chez Dwayne Johnson, habituellement associé à des rôles plus grands que nature. Ici, il incarne Mark Kerr, champion de MMA des années 90, déchiré entre la gloire publique, la violence intérieure et les fissures d'une vie personnelle sous pression. Ce qui frappe rapidement, c’est la manière dont Safdie relie l’arène et l’intime : la rage du combat n'existe qu’en miroir de la douceur fragile du foyer.
Une performance surprenante : la vulnérabilité de Dwayne Johnson
Johnson, souvent associé à des héros invincibles, signe ici un virage inattendu. Son corps puissant demeure, mais il devient le théâtre d’une fragilité poignante. Les scènes d’entraînement solitaire mettent en lumière la solitude écrasante du champion : muscles en tension, souffle court, silence habité par le doute. Sa transformation physique ‒ accentuée par un maquillage qui révèle l’usure du corps ‒ n’est rien comparée à son dépouillement émotionnel.
Mais la performance de Johnson prend toute sa dimension dans ses scènes partagées. Sa relation avec sa compagne, incarnée par Emily Blunt, devient un fil affectif essentiel du récit. Leur couple, traversé par l’amour, l’incompréhension et la peur de voir l’autre sombrer, apporte une douceur ténue qui contraste avec la brutalité des combats. Blunt incarne le regard du monde extérieur, celui qui voit l’homme derrière le colosse, qui tente de retenir ce qui se délite. C’est dans ces échanges ‒ gestes hésitants, mots murmurés, tensions quotidiennes ‒ que le film touche profondément : la violence la plus douloureuse n’est pas toujours celle du ring, mais celle des blessures silencieuses, faites d'attentes, de promesses et de renoncements.

Personnellement, c’est dans ces moments-là que le film m’a le plus atteint : lorsque la caméra abandonne la sueur et le fracas pour s’attarder sur un couple qui tente de survivre à l’ambition, au corps qui lâche et aux addictions qui s’installent. On y ressent à la fois la tendresse et l’impuissance, l’espoir ténu et la peur d’une chute irrémédiable.
Benny Safdie en solo : une direction artistique immersive
Après plusieurs collaborations remarquées avec son frère Josh, notamment sur Good Time et Uncut Gems, Benny Safdie signe ici sa première réalisation solo, ce qui constitue pour lui aussi un moment charnière dans sa carrière. Avec The Smashing Machine, il assume entièrement la direction artistique et narrative et le résultat est impressionnant. Le résultat est impressionnant : il choisit une approche réaliste et immersive, plongeant le spectateur dans l’univers du MMA des années 1990. Chaque scène, qu’elle soit sur le ring ou en dehors, est minutieusement construite pour accentuer le réalisme et la tension dramatique. Safdie utilise des caméras proches, des plans serrés et une texture d’image granuleuse pour donner l’impression que le spectateur est lui-même témoin des combats.
Les combats sont filmés avec une intensité rare. On ressent la violence physique et psychologique à travers la caméra tremblante et les cadrages serrés, mais Safdie prend soin de montrer que derrière chaque coup se cache un être-humain. Dans une séquence mémorable, Kerr affronte un adversaire redoutable dans un petit club surchauffé. La caméra suit chaque mouvement, capture chaque goutte de sueur et chaque respiration haletante, tout en s’attardant sur les émotions qui traversent le visage de Kerr. Ce mélange de réalisme brutal et d’introspection émotionnelle distingue cette œuvre de nombreux autres films de sport et illustre la maturité artistique de Safdie dans sa première direction artistique en solitaire.

Les thèmes de la chute et de la rédemption
Le film ne se limite pas à la glorification des combats. Il traite de thèmes universels tels que la chute, la dépendance et la quête de rédemption. On voit Kerr lutter contre l’addiction et les excès de sa vie de champion, et la caméra de Safdie capte ces moments avec une sensibilité rare. Une scène particulièrement émouvante montre Kerr après une nuit de débauche, contemplant son reflet dans le miroir. Les cicatrices visibles, les yeux fatigués et la posture hésitante racontent une histoire de lutte et de résilience, offrant au spectateur un aperçu de la complexité de l’âme humaine.
Ces moments de vulnérabilité contrastent avec la brutalité des combats, soulignant la tension entre l’image publique d’un champion et la réalité de sa vie intérieure. Safdie réussit à montrer que la force physique n’est jamais suffisante pour affronter ses démons personnels, et que la véritable victoire réside dans la capacité à affronter sa propre fragilité.
Une esthétique réaliste et poétique
Safdie mêle réalisme cru et poésie discrète. Lumières crues des salles d’entraînement, sueur et cicatrices filmées sans fard, mais aussi instants de douceur : un regard échangé, un souffle partagé, une main posée sur l’épaule. L’esthétique documentariste s’allie à une sensibilité presque intime, rendant chaque scène palpable et profondément humaine. Ce qui pourrait n’être qu’un film sur le MMA devient un récit sur le combat intérieur, l’amour, la fatigue du monde.

The Smashing Machine n’est pas seulement un film de sport : c’est une œuvre sur la condition humaine, sur ce qu’il en coûte de tomber, d’aimer, de se reconstruire. Johnson révèle une sensibilité insoupçonnée et Safdie une maturité de mise en scène qui frappe par son équilibre entre dureté et douceur. Laissant une empreinte durable, le film rappelle que derrière chaque champion se cache une histoire faite de blessures, de luttes intimes et d’élans d’espoir. On en sort bouleversé, troublé, avec le sentiment d’avoir partagé le souffle d’un homme qui refuse de disparaître sans se battre — sur le ring, mais surtout dans la vie.