The Whale
Recréer ce qui n’est plus
Habitué des films qui marquent une vie grâce à leur puissance émotionnelle et visuelle, Darren Aronofsky revient cette fois-ci avec The Whale . Une œuvre dans laquelle Brendan Fraser livre une interprétation d’ores et déjà inscrite dans l’éternité. Un rôle qui sonne comme l’aboutissement d’une vie faite de hauteurs, mais de plongées dans les abîmes également. Un retour en (grande) force.
Requiem for a Dream , Black Swan , The Wrestler : Darren Aronofsky est un réalisateur pour qui filmer des personnages en perdition et tourmentés est devenu une particularité . Avec The Whale , il ne déroge pas à la règle. Sombre, étouffant, pessimiste : les ingrédients qui font son cinéma sont tous réunis. Mais là où le film résonne particulièrement, c’est dans sa thématique de la relation parentale.
Charlie, professeur donnant des cours en ligne, souffre d’obésité morbide depuis plusieurs années. Il ne sort plus de chez lui et passe son temps à manger pour tenter d’oublier la mort de son compagnon. Lorsque sa fille Ellie (Sadie Sink) se rend chez lui par surprise, elle cherche à comprendre pourquoi il l’a abandonné, elle et sa mère, il y a plusieurs années pour vivre une histoire d’amour avec un homme. Charlie tente donc de recréer une relation avec Ellie, qui lui en veut d’être parti alors qu’elle n’était qu’un enfant. Pendant ce temps, Thomas, un jeune évangéliste essayant de convertir Charlie, sera en proie au doute dans sa foi au fur et à mesure de leurs échanges.
Film en huis clos, c’est dans un appartement à la lumière étouffée, grisâtre et où l’air est absent, que la caméra nous présente Charlie, titan au corps d’argile pouvant à peine supporter son poids. Pour faire ressentir ce sentiment d’être à l’étroit, le réalisateur a choisi d’utiliser le format dit « carré », là où habituellement les films sont en 16/9 (c'est-à-dire un cadre rectangulaire). Format assez rare au cinéma, ce choix de composition donne l’impression d’être limité dans un espace, sans possibilité de l’agrandir, et où nos mouvements seraient restreints.
Là où Aronofsky fait très fort, c’est la manière avec laquelle il arrive à montrer Charlie d’une façon gargantuesque et ainsi donner la sensation au spectateur d’être presque écrasé par ce corps aux proportions démesurées. On sent véritablement le poids, la masse, la puissance de ce géant. Chaque respiration, chaque geste est une épreuve où l’on suffoque avec lui. Par moments, le film fait penser à Elephant Man de David Lynch, dans sa manière de rendre terriblement humain un être à l’apparence qui peut être qualifiée de monstrueuse. À noter les magnifiques maquillages et prothèses qui rendent le tout extrêmement crédible.
Ne pouvant survivre seul, Charlie est assisté par Liz (brillamment interprétée par Hong Chau), une aide-soignante qui se rend régulièrement chez lui. Personnage très intéressant, car elle oscille parfaitement entre la confidente, mais aussi l’infirmière qui se doit de le mettre en garde. D’ailleurs, tout le long du film, elle n’hésite pas à lui dire que s’il continue à vivre comme cela, ses jours sont comptés. Les jours, justement, jouent un rôle central dans The Whale , car ils constituent le chapitrage du film.
Il est difficile de parler de The Whale sans porter une attention particulière au jeu des acteurs. Tout d’abord, il y a cette interprétation ahurissante et terriblement humaine de Brendan Fraser. Connu avant tout pour ses rôles plus légers dans des films tels que George de la jungle ou la Momie , il livre ici une performance qui marquera l’histoire du 7e art.
Afin de coller au mieux à Charlie, l’acteur a expliqué, dans une interview pour le magazine Entertainment Weekly , avoir puisé dans sa propre expérience du surpoids :
Bien que sa morphologie diffère de la mienne à l’heure actuelle, j’ai eu mes propres fluctuations de poids, mais il m’a été utile de réunir les deux pour créer Charlie d’un point de vue authentique et de me rapprocher de lui autant que possible.
À côté de l’interprétation démentielle de Brendan Fraser, Sadie Sink offre, elle aussi, une magnifique performance. Elle excelle dans le rôle de l’adolescente meurtrie et pleine de rancœur envers son père. Enfin, Ty Simpkins, qui interprète Thomas, est peut-être le personnage le moins marquant. Pas inintéressant, il offre une réflexion sur notre rapport aux croyances grâce à ses différentes conversations avec Charlie.
Concernant la relation entre Ellie et Charlie, étant donné que nous sommes dans un film de Darren Aronofsky, leur réconciliation ne se passera pas comme prévu. La jeune fille ne cessera d’être odieuse, intolérante et remplie de colère envers son père. Et c’est précisément là où The Whale tape juste. Pour ceux ayant connu l’abandon par un parent, le comportement d’Ellie est plus que compréhensible. Comment avoir du respect et de l’empathie pour la personne alors qu’elle a délibérément choisi de partir à un moment où en avait peut-être le plus besoin ? Sans se vouloir un plaidoyer sur l’abandon en général, The Whale à ce mérite de montrer les blessures que cela peut créer et interroger plus globalement sur le rôle et les responsabilités des parents. Ellie ne hait pas son père, elle crie simplement une révolte qu’elle a trop longtemps enfouie en elle, semblable à une blessure du passé qu’on pensait avoir oubliée.
Un des éventuels reproches que l’on pourrait faire au film, c’est sa façon de mêler trop d’histoires différentes ensemble. Par exemple, les parties avec Thomas et ses discussions à propos de croire ou pas en Dieu, ne servent pas le récit. Elles ont même tendance à l’alourdir.
Mis à part cette réserve, The Whale reste une grande œuvre et continue de prouver que Darren Aronofsky est un metteur en scène qui sait filmer des personnages meurtris et sous l’emprise de multiples démons. Certains le trouveront peut-être un peu long, bavard ou trop sentimental, mais The Whale offre quelque chose qui se fait rare : un grand moment de cinéma.