critique &
création culturelle

Top Documentaires 2025

Coups de cœur et voyages dans le réel

En 2025, le documentaire s’impose plus que jamais comme un miroir vibrant du monde, entre crises, luttes et éclats d’humanité. Ces films essentiels, puissants et singuliers composent un panorama bouleversant de notre époque. Voici mes coups de cœur de l’année écoulée.

Chaque année, le documentaire nous rappelle que le cinéma peut être une fenêtre sur le monde autant qu’un miroir de nos émotions. 2025 ne déroge pas à la règle : cette sélection de films offre autant de regards uniques, puissants, bouleversants, parfois glaçants, toujours mémorables. Impossible de les classer sans hésiter : certains touchent à l’histoire immédiate, d’autres explorent l’intime ou la mémoire collective, tous nous interrogent sur notre époque et notre humanité. Voici donc mon top 2025, ouvert par celui qui m’a le plus profondément touché.

2000 Meters to Andriivka — Mstyslav Chernov : Une odyssée de 2 000 mètres, filmée comme un cauchemar éveillé

Dans 2000 Meters to Andriivka, Mstyslav Chernov prolonge l’élan de 20 Days in Mariupol en suivant la troisième Brigade d’Assaut ukrainienne sur 2 000 mètres de terre dévastée, transformée en gouffre existentiel. Caméra à l’épaule, drones et casques captent un front où technologie et désolation se heurtent. Entre bombes et fatigue extrême, l’humanité perce : un soldat plaisante, un autre affirme se battre pour se battre. Sans simplisme, Chernov montre une guerre anti-héroïque où dignité et persévérance persistent. Andriivka devient symbole de résistance : « Tout repoussera », murmure un soldat.

Deaf President Now! — Davis Guggenheim & Nyle DiMarco : Un film-manifeste vibrant, qui célèbre une révolution oubliée

Deaf President Now! retrace la révolte de 1988 à l’université Gallaudet, Washington, où les étudiants sourds contestent la nomination d’une présidente entendante, malgré deux candidats sourds. Huit jours de sit-in, d’occupations médiatiques et de mobilisation se confrontent à une institution méprisante. Co-réalisé par Davis Guggenheim et Nyle DiMarco, le documentaire mêle archives, entretiens et reconstitutions pour restituer humour, tension et chaleur, en suivant les quatre leaders du mouvement. Entièrement raconté du point de vue de la communauté sourde, le film explore le quotidien de ses membres et les enjeux auxquels ils sont confrontés. Il met aussi en lumière l’ancien système « audiste » — c’est-à-dire fondé sur l’idée que la capacité à entendre ou à utiliser la parole orale rend « normal » ou supérieur — et les discriminations structurelles qui en découlaient. Cette lutte mènera à la nomination du premier président sourd et marquera une étape importante dans l’histoire des droits civiques aux États-Unis.

Put Your Soul on Your Hand and Walk — Sepideh Farsi : Un adieu lumineux à Fatma Hassona, transformé en mémoire vivante

Il existe des films dont l’issue est connue d’avance, sans que cela ne les affaiblisse : Put Your Soul on Your Hand and Walk, documentaire bouleversant de Sepideh Farsi, en fait partie. Suivant pendant un an la photojournaliste palestinienne Fatma Hassona, 24 ans, dont la mort planera sur chaque scène, le film se construit presque entièrement à partir d’appels WhatsApp filmés, ponctués de ses photos et de bribes d’actualité. Fatma rit, taquine, rêve, malgré la violence omniprésente. Sa joie devient un acte de résistance. Dans le dernier appel, elle apprend la sélection du film à Cannes… moins de vingt-quatre heures avant sa mort.

Come See Me in the Good Light — Ryan White : Vivre en pleine lumière : Andrea Gibson face à l’inévitable

Come See Me in the Good Light bouleverse le documentaire sur la maladie en s’approchant d’Andrea Gibson – atteint·e d’un cancer des ovaires en phase terminale – et de Megan Falley avec une intimité rare. Le couple dévoile son quotidien : visites à l’hôpital, nuits d’angoisse, éclats de rire, humour noir, mêlant désespoir et joie. La voix poétique de Gibson structure le film, dans lequel archives, performances et lectures font de l’art une extension naturelle de l’être. Le contraste entre Falley et Gibson éclaire deux manières d’affronter l’inéluctable. En retraçant la trajectoire d’un·e jeune queer du Maine, White signe une ode à l’amour et à la vie face à la finitude.

The Alabama Solution — Andrew Jarecki & Charlotte Kaufman : Un documentaire choc qui lève le voile sur l’enfer carcéral oublié

The Alabama Solution explore un système carcéral américain en crise, mêlant violence, exploitation et injustice. Co-réalisé par Andrew Jarecki et Charlotte Kaufman, le film s’appuie sur six ans d’enquête, avec images clandestines tournées par les détenus, et témoignages de familles et militants. Une visite apparemment festive à la prison d’Easterling dévoile rapidement coups, cellules insalubres et trafic organisé par certains gardiens. Au centre, Melvin Ray et Robert Council collectent preuves et récits, révélant souffrance, courage et solidarité. Entre travail forcé, profits étatiques et refus quasi systématique de libérations, le documentaire est un appel à l’action face à la brutalité systémique.

The Librarians — Kim A. Snyder : Des héroïnes courageuses sur la ligne de front de la liberté intellectuelle

The Librarians éclaire un combat crucial : celui des bibliothécaires américains défendant l’accès des jeunes à la littérature face aux offensives conservatrices, surtout au Texas et en Floride. Kim A. Snyder suit ces gardiens de la connaissance confrontés à la censure, aux menaces et à l’hostilité publique, tout en protégeant un espace démocratique où la jeunesse explore identité, histoire et pensée critique. Sobres et puissants, les témoignages et archives montrent leur courage face à des accusations absurdes et à des pressions intenses. Le documentaire devient un manifeste vibrant pour la lecture, la mémoire collective et la liberté d’apprendre.

Becoming Led Zeppelin — Bernard MacMahon : Un hommage sonore et visuel à la naissance d’une légende du rock

Becoming Led Zeppelin explore avec passion les débuts d’un groupe devenu mythique, de leurs parcours individuels sur la scène britannique à leur premier triomphe américain. Bernard MacMahon adopte un regard intime, guidé par Jimmy Page, Robert Plant et John Paul Jones, révélant talents, humour et esprit du quatuor. Le film privilégie la musique et les influences fondatrices plutôt que les anecdotes sulfureuses, mêlant archives, photos et interviews récentes. La complémentarité des membres – Page le visionnaire, Plant le charismatique, Jones le réfléchi, Bonham la puissance – éclaire leur création. Une célébration vibrante du son et de l’amitié qui ont transformé le rock.

The Tale of Silyan — Tamara Kotevska : Un poème documentaire sur la migration, la solitude et l’attachement à la terre

The Tale of Silyan suit Nikola, agriculteur en Macédoine du Nord, confronté à la disparition de son mode de vie ancestral, tandis que les cigognes blanches, figures réelles et mythologiques, survolent la région. Co-réalisé par Tamara Kotevska (Honeyland), le film mêle subtilement réalité contemporaine et fable du XVIIᵉ siècle : Silyan, fils transformé en cigogne, ne retrouve pas sa place parmi les siens. Sobriété, gestes simples et photographie de Jean Dakar subliment la solitude, la migration et l’héritage. La rencontre de Nikola avec une cigogne blessée symbolise une fragile réparation entre humanité et nature. Un poème visuel sur la résilience et la beauté du quotidien.

Riefenstahl — Andres Veiel : Une plongée implacable dans le génie visuel d’une propagandiste nazie

Riefenstahl retrace la vie et l’œuvre de Leni Riefenstahl, figure majeure et controversée du cinéma allemand. Pionnière de l’image, elle a fasciné Hitler avec Triumph of the Will et Olympia, chefs-d’œuvre techniques devenus symboles de la propagande nazie. Andres Veiel déconstruit la légende qu’elle a voulu se construire, confrontant ses déclarations à ses archives personnelles. Chaque déni, qu’il s’agisse d’antisémitisme ou de neutralité artistique, est contredit par ses implications dans le projet nazi. Le film explore aussi ses contradictions, liant esthétisme et idéologie, et interroge puissamment la frontière entre maîtrise technique et responsabilité éthique.

The Perfect Neighbor — Geeta Gandbhir : Un documentaire glaçant sur la violence banale et le racisme institutionnalisé

The Perfect Neighbor revient sur le meurtre d’Ajike Owens, jeune mère noire, par sa voisine blanche Susan Lorincz en juin 2023 à Ocala, Floride. Geeta Gandbhir, déjà remarquée pour Katrina: Come Hell and High Water, adopte une approche radicale : le documentaire repose sur des vidéos de bodycams et de surveillance, rendant chaque instant oppressant. Il explore la violence ordinaire, le racisme latent et l’impact de la Stand Your Ground Law. La confrontation finale montre l’effondrement des justifications de Lorincz, révélant un système aveugle au danger. Sobriété et silence transforment chaque image en témoignage de l’injustice structurelle.

Grand Theft Hamlet — Sam Crane, Pinny Grylls & Mark Oosterveen : Un projet fou, où Shakespeare rencontre l’absurde numérique

Grand Theft Hamlet suit Sam Crane et Mark Oosterveen, deux acteurs au chômage, qui décident de monter Hamlet… dans Grand Theft Auto V. Durant le confinement, leurs avatars explorent Los Santos et découvrent le Vinewood Bowl, un amphithéâtre désert idéal pour répéter. Ce qui commence comme une plaisanterie devient un projet sérieux, mêlant auditions, recrutements et répétitions dans un univers imprévisible. Co-réalisé avec Pinny Grylls, le film montre intégralement la production dans le jeu, oscillant entre chaos numérique et rigueur théâtrale. Drôle, absurde et émouvant, il célèbre l’ingéniosité, la persévérance artistique et la créativité humaine.

Orwell : 2 + 2 = 5 — Raoul Peck : Un documentaire glaçant qui confronte la fiction à la réalité contemporaine

Orwell : 2 + 2 = 5 plonge dans l’univers dystopique de 1984, montrant la pertinence actuelle des avertissements d’Orwell. Raoul Peck relie la vie et l’œuvre de l’écrivain aux événements contemporains, dénonçant manipulation, désinformation et totalitarisme. Archives, lettres, extraits et séquences d’actualité révèlent que le contrôle de la vérité n’est jamais fictif. La narration de Damian Lewis souligne la fragilité de la démocratie et la manipulation politique. Si certains choix formels – IA répétitives, sons dramatiques, structure non linéaire – peuvent distraire, le message reste puissant : Peck confronte notre présent, appelant à la vigilance et à la conscience critique face aux mensonges d’État.

En attendant Cover-Up de Laura Poitras – que je n’ai pas encore eu la chance de découvrir – le documentaire arrive enfin chez nous sur Netflix le 26 décembre. Portrait captivant de Seymour Hersh, légendaire journaliste d’investigation, Cover-Up retrace plus de six décennies de révélations explosives : massacre de My Lai, scandale d’Abou Ghraib, Watergate, et bien d’autres affaires enfouies par le pouvoir.

2025 aura été une année riche en documentaires capables de bouleverser, de provoquer et de faire réfléchir. Qu’il s’agisse de fronts de guerre, de luttes sociales, d’intimités bouleversantes ou de créations artistiques insolites, chaque film de ce top offre une expérience singulière. Ce sont autant de fenêtres sur le monde et sur l’humain, des invitations à ne pas détourner le regard et à prolonger la réflexion longtemps après le générique. Une chose est sûre : le documentaire n’a jamais été aussi vivant, aussi essentiel, et 2025 le confirme avec éclat.

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