Un goéland s’est posé sur la table de Louis Chopinx
Où le conte rencontre la magie

52 récits, pour la plupart très courts, entre conte et nouvelle, entre réel et imaginaire, avec une pincée de magie et une bonne dose d’absurde, voilà le melting pot bien belge concocté par Louis Chopinx pour son premier livre, Un goéland s’est posé sur la table.
À travers ces 52 courts récits, en écho aux 52 cartes d’un jeu de cartes classiques, Louis Chopinx nous fait voyager à l’aveugle dans un univers semi-imaginaire, entre le désert et la mer, rencontrant tour à tour un goéland et une tortue, un facteur, un peintre et un épouvantail. Divisé en trois parties, Un goéland s’est posé sur la table est un ensemble de textes apparentés au conte navigant entre absurde, magie et fantastique. Il est donc vivement conseillé de se détacher de sa part de rationalité avant de s’immerger dans cette lecture. En effet, tout y est un peu flou, de l’identité du narrateur, qui semble d’ailleurs varier, aux lieux et aux personnages mentionnés dans les différents récits. Chaque fois que l’on pense avoir enfin intégré des éléments de contexte aidant à suivre la narration, tout est remis en question l’instant suivant pour partir dans un imaginaire qui tient de l’absurde, voire du loufoque. La division du livre en trois parties (« Un goéland s’est posé sur la table », « Les Cyclades » et « Une vie de fleur ») est elle aussi un peu mystérieuse. La première partie s’ouvre certes sur le texte éponyme, mais les textes suivants abordent bien d’autres sujets. Le nom de la deuxième partie s’explique probablement par la mention à plusieurs reprises de l’île cycladique d’Amorgos. Enfin, il est bien question de fleurs (tournesols et edelweiss) dans la troisième partie, mais celles-ci apparaissent déjà dans la première partie.
L’auteur ancre son livre dans plusieurs lieux, réels et fictifs, qui reviennent pour la plupart dans différents récits, tels que le désert, la mer/l’océan, Bruxelles et les Marolles en particulier, Athènes, Amorgos, New York, le Palais Idéal, etc. Dans ce grand flou artistique, certains éléments reviennent dans plusieurs textes, tels le fameux goéland posé sur la table, le facteur, le peintre, les tournesols, l’edelweiss, une femme jouant du piano, le désert ou encore les couleurs jaune et bleu, autant de repères fugaces dans cette suite de fragments désordonnés. Certains récits se lisent seuls, tandis que d’autres se répondent, parfois avec un changement de narrateur, pour ajouter à la confusion générale. L’identité des différents narrateurs n’est d’ailleurs jamais mentionnée, ce qui n’est pas pour faciliter la compréhension des récits. Difficile de dire si ceux-ci ont une vocation narrative, s’ils tentent de véhiculer un message ou une morale ou s’il s’agit presque d’écriture automatique, tant l’auteur passe à de nombreuses reprises du coq à l’âne. Le livre donne du début à la fin l’impression d’être un assemblage hétéroclite d’idées décousues mises bout à bout de manière très brute et sans souci de cohérence.
« Le sommet du Mont des Arts avait la forme d’un cône dont on aurait confisqué la pointe. De l’herbe occupait l’espace sous nos pieds et le vent parmi ses brins comme un chien joue dans un parc.
Le désert s’étendait à perte de vue. Je ne me serais pas attendu à trouver des dunes dans un endroit comme celui-ci. »
Pour toutes ces raisons, j’ai éprouvé énormément de difficultés à entrer dans les différents récits et à en retirer les éléments essentiels. J’ai par moments été touché par de brefs passages plus poétiques, mais l’ensemble m’a laissé une impression de démarche artistique obscure et de travail inachevé assortis d’un goût d’incompréhension.
« Dos au parapet, dos au monde, un peintre. Dans la rue, une toile blanche. “Puisque je vous dis que je ne veux plus peindre !” Déjà, les pinceaux quittent ses poches.
“Où est-il ?”
Les badauds. Les voisins. Les canards sauvages. Tous l’ont vu s’enfoncer dans la toile. Peut-être se plaît-il mieux en peinture qu’en peintre ?
Ce matin, je n’ai pas envie d’écrire. Je m’installe à mon bureau. Comme s’il suffisait de brandir une page blanche sous mon nez pour y échapper. »
Par moments, on pourrait presque se demander si cet aspect décousu et abracadabrant n’est pas un effet recherché par l’auteur.
« Si d’une phrase à l’autre j’en oublie une. Dis-toi que mes points sont des ponts.
Mes sauts de ligne, des océans. »
Chacun de ces 52 récits recèle sa part de mystère, de beauté et peut-être de poésie pour qui sait la trouver, mais l’ensemble forme un bric-à-brac qui semble demander une grande concentration à l’esprit cartésien qui essaierait d’établir une carte mentale et de tisser des liens logiques de l’un à l’autre.