Primé une énième fois à Cannes avec son film Une affaire de famille , Kore-eda Hirokazu nous surprend avec une histoire familiale peu conventionnelle qui ne repose plus sur les liens du sang mais sur les choix de ses membres. Il n’est plus question de naître dans une famille, mais de la choisir avec ses tripes, c’est ici ce que Kore-eda nous propose avec un naturel et une simplicité inouïs.
Une famille différente mais profondément attachante
Décembre incarnant le mois des fêtes en famille, le réalisateur japonais Kore-eda en profite pour sortir un film sur les liens peu ordinaires unissant les membres de la famille Shibata. Une affaire de famille commence par le vol commis dans un supermarché par le jeune Shota et questionne déjà les codes, la supercherie étant orchestrée par son supposé père. L’acte illégal accompli, les deux complices rentrent dans leur foyer. Mais sur le chemin du retour, ils découvrent la petite Yuri, jeune enfant battue qu’ils décident de ramener dans leur confrérie recomposée. Celle-ci est composée d’une femme âgée, la « grand-mère », d’une trentenaire, « la mère » et d’une jeune femme, « la sœur aînée ». Ce beau monde bataille malhonnêtement pour survivre malgré la précarité. Yuri, la jeune enfant, incarne l’élément manquant de cette étrange tribu. Seuls les liens qui unissent les membres restent nébuleux : qui est qui ? Hirokazu laisse cette question sans réponse jusqu’à la fin du film. Celui-ci se plaît à mettre en lumière le quotidien de cette famille, avec son lot de problèmes et de joies, qui accueille Yuri comme une des siennes.
Des informations tues, des images dissimulées
Kore-eda se plaît à créer des ellipses narratives volontaires pour titiller la curiosité du spectateur. « Tu penses qu’elle nous a choisis ? — Généralement on ne choisit pas ses parents… — C’est peut-être plus fort quand tu les choisis justement… » Ce dialogue entre les deux parents révèle la raison pour laquelle les liens ne sont pas dévoilés par le réalisateur. Qui s’en soucie ? Hirokazu nous propose de concevoir la famille autrement, comme un organisme vivant et heureux peu importe ce qui les rassemble. Il préfère concevoir la rencontre familiale comme un coup de foudre, outre l’âge (la grand-mère a passé la soixantaine tandis que Yuri a sept ans), l’origine ou la classe sociale (la sœur aînée est d’une classe socioéconomique favorisée).
En plus des ellipses narratives, les scènes veulent respecter une certaine pudeur en accord avec les standards culturels japonais. Un exemple très clair de cette pudeur reste la mort de la grand-mère, qui n’est pas explicitée au spectateur. En effet, aucune image de son corps, de son visage ne lui est offert. Kore-eda nous laisse dans ce flou artistique à l’aide du fameux drap blanc recouvrant le corps de la vieille dame.
Une double dualité : la part d’ombre et de lumière, le cocon et l’immensité
Dans Une affaire de famille , Kore-eda nous présente des personnages singuliers avec leur part d’ombre et de lumière. Cette dualité se présente dès le début du film avec le délit de Shota. Mais aussi lorsqu’on apprend que la grand-mère a enlevé la sœur aînée dont les parents contribuent à l’éducation en confiant de l’argent à la vieille femme. Cette révélation n’ôte pas le flou entourant la relation qu’entretiennent la retraitée, la jeune femme et sa famille, nous ignorons les raisons qui motivent la grand-mère à en arriver là. Ces énormités ne nous font pas détester ces personnages, au contraire, Kore-eda possède cet incroyable don pour les rendre innocents, presque niais. Cet équilibre parfait entre ombre et lumière rend ces individus attachants, cela fait d’eux des êtres profondément vrais et humains. L’innocence et la simplicité de cette fratrie est d’autant plus visible à l’arrivée de Yuri. Certes très jeune, innocente et fragile, elle a la force presque extraordinaire de rassembler ces âmes déçues dans un cocon de tendresse.
Ces concepts de clarté et d’obscurité sont également présents dans l’alternance des plans. Le réalisateur japonais oscille entre plans d’ensemble représentant des paysages lumineux, à perte de vue : l’océan dont on ne voit pas le bout et la ligne d’horizon incarnant l’infinité du ciel ; et des plans moyens, plus sombres : le supermarché montrant la complicité du père et du fils et la maison traditionnelle japonaise de plain-pied, reflétant les moments d’intimité. Cette alternance renforce le sentiment de cloisonnement autour de la famille, et nous donne cette impression de coquille protectrice où les individus peuvent être eux-mêmes.
Et l’éthique dans tout ça ?
Jusque-là, nous suivions les personnages évoluant dans un monde presque à part, hors du temps. Les spectateurs étant envoutés par la complicité des personnages, l’acte illégal du kidnapping ne leur semble plus en être un. La conclusion du film nous éloigne du couffin familial pour nous ramener à la réalité. Elle est aussi ponctuée par d’une question fondamentale : ces adultes ont-ils bien fait de kidnapper la jeune enfant maltraitée ? Une affaire de famille est destiné aux spectateurs désireux de voir un drame familial hors du commun, doté d’une infinie douceur à la japonaise et agrémenté de joie et d’espoir.