Une soirée confuse
Avec Reflets d’un banquet , Pauline d’Ollone se propose non seulement d’adapter au théâtre un monument philosophique, le Banquet de Platon, mais aussi de le réactualiser. Un pari peut-être un peu trop ambitieux.
Jeune artiste au parcours déjà impressionnant (comédienne sous la direction d’Aurore Fattier au Varia et à la Balsamine, assistante à la mise en scène de Razerka Lavant à Chaillot, auteure de la pièce Où suis-je ? Qu’ai-je fait ? créée à L’L), Pauline d’Ollone s’est attaquée il y a deux ans à l’adaptation théâtrale du Banquet de Platon. La pièce, Reflets d’un banquet , vient tout juste d’être créée au Théâtre de la Vie.
Dans le Banquet , un de ses dialogues de maturité, Platon met en scène Socrate lors d’une réception chez Agathon, jeune tragédien dont la première pièce vient d’être couronnée de succès. Au cours de la soirée, l’un des invités propose que chaque convive fasse l’éloge d’Éros, dieu de l’Amour. Les discours, qui se succèdent, culminent avec celui d’Agathon, qui attribue à Éros toutes les qualités (il est le premier dieu car le plus heureux, le plus beau, le meilleur, le plus délicat, il ne commet ni ne subit d’injustice, connaît la plus grande modération, est le plus courageux et le « poète le plus savant »). Le jeune tragédien, galvanisé par son succès de la veille, est acclamé par tous. Socrate, pourtant, ironise : « Dans ma sottise, je m’imaginais en effet qu’il fallait dire la vérité sur chacune des choses dont on fait l’éloge, que cela servait de point de départ […]. Mais en fait, selon toute apparence, ce n’est pas la bonne façon de faire l’éloge de quelque chose : il faut plutôt doter l’être considéré des qualités les plus grandes et les plus belles possibles, qu’il se trouve les posséder ou non […]. » Socrate montre alors qu’Éros, loin de ressembler au portrait qu’Agathon en a fait, est toujours pauvre, rude, malpropre, va-nu-pieds, viril, résolu, ardent, chasseur redoutable, passionné de savoir et fertile en expédients, sorcier redoutable, magicien, expert.
Réécrire un tel monument de la philosophie pour le monter sur scène est un pari ambitieux, d’autant plus que le projet de Pauline d’Ollone vise à relier le texte de Platon aux questionnements de notre temps. L’artiste, qui a consacré à la pièce une période de travail de deux ans, en est consciente. Le résultat ne semble cependant malheureusement pas tout à fait à la hauteur de l’ambition.
Certes, la mise en scène est vivante — les gradins sont disposés de telle sorte que les spectateurs, très peu nombreux, soient inclus dans la pièce —, bien qu’épurée — il y a extrêmement peu d’accessoires et, pour ainsi dire, pas de costume, pour laisser toute la place au texte. Mais on ne voit malheureusement pas trop le rapport avec la politique contemporaine — que Pauline d’Ollone place cependant au centre de son adaptation —, à moins d’établir un parallèle entre ces beaux parleurs grecs, qui emballent le public avec de beaux discours non seulement creux mais faux, et les politiciens qui manient avec brio la langue de bois en se soumettant à des éléments de langage déterminés par leur parti. Ce rapprochement ne manque pas d’intérêt mais est laissé à la seule initiative des spectateurs. La pièce serait ainsi intitulée Reflets (d’un banquet) pour souligner cette ressemblance, à travers les siècles, entre deux pratiques, et caractériser une situation qui, implicitement, renvoie à la nôtre. L’idée n’est pas mauvaise, mais peut-être insuffisamment marquée. À l’inverse, les quelques éléments de mise en scène qui renvoient plus expressément à notre époque (par exemple, le recours au slam comme forme actuelle de poésie) manquent un peu de subtilité.
Il n’en reste pas moins qu’il est extrêmement intéressant de voir un dialogue de Platon mis en scène. La théâtralisation du texte souligne efficacement son aspect dialogué et vivant. Elle donne un aperçu à la fois de l’art rhétorique des sophistes et de l’efficacité des répliques et des objections socratiques. Le Contradicteur, incarné sur scène par Anne-Marie Loop, est un personnage intéressant, sorte de reflet de Socrate, créé de toutes pièces par Pauline d’Ollone. Il accorde, à raison, beaucoup d’importance aux mots — dire, c’est déjà faire, voire même créer —, mais je n’ai pas été convaincue par toutes ses répliques, notamment celles concernant la question de la race. Ce terme ne résonne pas de la même façon aujourd’hui qu’à l’époque et on ne peut éluder le travail de précision terminologique qui s’impose, à moins d’ignorer complètement les vingt-cinq siècles qui nous séparent de Platon. L’anachronisme a beau être assumé par la metteuse en scène, il me semble être plutôt de nature à créer la confusion.